Embrasser nos Différences

Embrasser nos Différences

Editeur : Les Ailes de l'Océan Edition

Auteur : Lexie T.L. Heart

Couverture : Les Ailes de l'Océan Edition

ISBN : 978-2-487542-03-7

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Dernière mise à jour 02/05/2024
Temps estimé de lecture 1 heure 45 minutes
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Français New Romance Débutant(e)
Embrasser nos Différences

Chapitre 5

J’avais dû m’endormir, car je m’étais réveillée sur son lit. Je détaillais alors sa silhouette tandis qu’il regardait dehors, immuable. Un corps ferme et ciselé. Sa musculature n’était pas excessive, mais elle n’enlevait rien à la puissance qui émanait de lui. Sans doute obtenue par des heures d’entraînements intensifs d’arts martiaux. Je me levais sur la pointe des pieds pour aller coller ma tête contre son dos et l’enlacer à mon tour. Tout ressentiment s’était évaporé. 

― Que m’a valu cette réaction déraisonnable plus tôt, Jeanne ?

Pour réponse, je lui contais mon histoire à Pékin. Les gardiens nous avaient pris pour des allumeuses mon amie et moi alors que nous tentions de leur expliquer dans un mandarin encore approximatif, qu’on avait été suivi. Nous étions à bout de souffle après une course effrénée et le détraqué, auteur du fait nous snobait hilare, jusqu’à ce qu’un couple intervienne pour le faire partir. Je lui précisais qu’à l’époque, nous en rigolions, mais récemment, le sentiment d’insécurité avait pris le dessus depuis qu’il avait bouleversé mon monde. Je finis  

par exiger de lui de me présenter à celui qui aurait la charge de faire ma filature et de me communiquer son numéro. Si les appels étaient exclus, des textos feraient l’affaire.

― Pourquoi es-tu allée dans ce pub si tu te savais suivie ? Il avait choisi de revenir sur le sujet.

― Parce que c’est un endroit où il y a du monde. Il n’aurait donc rien tenté. Et j’avais confiance en toi, comme si tu étais une araignée et Hong Kong, ta toile. 

― Que veux-tu dire ? 

― J’étais convaincue que tu viendrais, peu importe où je me trouvais… tu finirais toujours par me retrouver. 

― Et si je n’étais pas venu ?

Je le serrais plus fort en guise de réponse et enfouis davantage ma tête dans le creux de ses omoplates. 

Après un bain chaud que je partageais seule cette fois, j’enfilai un peignoir avant d’aller le rejoindre au lit où je me rendormis, épuisée. À l’aube, émue, je constatais que Keiji dormait toujours à mes côtés. Le cœur joyeux, je le regardais sans oser le toucher pour ne pas rompre le charme. Lorsqu’il se réveilla plus tard, il me gratifia d’un sourire éclatant. Conquérant, il roula et se plaça au-dessus de moi, ses bras aux veines saillantes, tendus de part et d’autre de mon visage. Il me proposa de l’accompagner au jardin pour une séance de tai-chi avant de prendre le petit déjeuner ; afin d’accueillir positivement cette nouvelle journée.   

Nous passâmes la porte d’entrée pour longer les baies vitrées du salon et de la salle à manger, posant les pieds sur des pierres japonaises en direction d’un bassin au décor zen, rempli de carpes et de truites rouges, jaunes et blanches et nous traversâmes le petit pont rouge qui s’élevait au-dessus. L’endroit regorgeait de palmiers, d’arbres fruitiers et c’est à l’ombre d’un arbre à coton et d’une bauhinia en floraison, dont la fleur est le symbole de Hong Kong, qu’il me montra les mouvements de base que je tentais maladroitement de suivre.  

― Tu dois trouver ton équilibre. Inspire et trace mentalement le chemin par ton dos et tes organes. Expire par la bouche, comme si ton souffle venait de là, me dit-il en posant la main sur mon ventre.

Il m’écarta les jambes à hauteur des hanches avec l’aide de son pied, puis m’aida en passant derrière moi, à fléchir le bassin en avant. 

― Cherche à éliminer les points de tensions au niveau de ta nuque, de tes épaules et de ton bassin en te calquant sur ta respiration, ajouta-t-il. 

Une fois la posture trouvée et mon corps détendus, il reprit lentement les mouvements pour se détendre, les genoux fléchis, les jambes remontant en extension tandis que les bras étaient à l’horizontale face à soi lors de l’inspiration, avant de les redescendre et de fléchir les jambes en expirant. Il enchaîna ensuite avec la partie relaxation, où il fallait basculer tout son poids sur la jambe gauche et tourner le haut du corps vers la droite en inspirant. Nous fîmes la même chose de l’autre côté tout en respectant la posture et l’exercice de respiration. Il s’agissait ensuite de pencher le buste vers l’avant, la tête la première, et laisser pendre les bras en déroulant le dos pour apaiser ses sensations. À la fin de l’exercice, mes mouvements étaient en synchronisation avec ceux de Keiji. Assis, nous finîmes par de la méditation. 

Cet instant partagé ensemble renforça mon sentiment de sécurité. Je soupçonnais Keiji de m’avoir initié pour donner suite à notre conversation de la veille. 

Au lieu de prendre le petit déjeuner à l’intérieur, ce fut sur la terrasse à l’ombre des arbres que nous avions mangé. Keiji redoublait d’attention pour moi, ce que je trouvais bizarre. Mon expression avait certainement laissé transparaître ma méfiance, ce qui l’avait alerté. 

― Je dois m’absenter le reste de la journée. J’ignore quand je serai de retour. C’est Sheng, l’homme d’hier qui t’accompagnera. Il a en sa possession un téléphone portable à partir duquel tu pourras me contacter. Ou le cas échéant, Han. 

Touchée qu’il ait entendu ce que j’avais sur le cœur, je me levais pour l’embrasser sur la joue en guise de remerciement, comme une adolescente à qui on vient d’offrir un cadeau. Il fit la moue, m’attira sur ses genoux et exigea un vrai baiser. Il entrouvrit délicatement ma bouche, y glissa sa langue pour approfondir cette valse exquise.


***


Après le départ de Keiji, je décidais d’aller à la plage afin de profiter de la journée ensoleillée qui s’annonçait et des températures qui s’adoucissaient à l’approche de l’été. De passage chez moi pour préparer quelques affaires et enfiler mon maillot de bain mauve aux motifs bleu lagon, je me demandais pendant combien de temps j’aurais encore quelqu’un en charge de ma surveillance. La vérité m’apparut alors brutale. Cela serait nécessaire aussi longtemps que Keiji ferait partie de ma vie, soulevant tout autant d’autres questions auxquelles je préférais ne pas avoir de réponse. Je ne souhaitais pas anticiper la souffrance, car l’avenir m’échappait totalement.  

Arrivée à Repulse Bay, il y avait peu de monde. Je trouvais facilement un emplacement où m’installer. Considérant que Sheng devait souffrir dans sa tenue noire qui détonnait avec l’environnement estival fortement ensoleillé, je lui achetais une boisson fraîche. Je n’aimais pas franchement entrer dans l’eau, profiter du sable chaud me convenait parfaitement. De plus, la mer de Hong Kong avait pour effet de plisser rapidement la peau de mes mains et de mes pieds. Nous étions loin des idées reçues sur les plages paradisiaques ou de ce que m’avait dit ma mère à propos de celles des îles vanille de l’océan Indien. La journée s’écoula paisiblement. Ce qui était idéal pour continuer le travail de ce matin. 

En fin d’après-midi, de retour chez moi, je me posais pour lire quelques mangas en sirotant un smoothie aux fruits rouges. Le ciel s’était assombri d’un coup, un orage éclata et une pluie torrentielle se déversa, m’obligeant à continuer à l’intérieur. L’intersaison pouvait être imprévisible ici. L’interphone sonna, c’était Keiji. 

Lorsque je lui ouvris, je le pris contre moi, me rendant compte que quelque chose ne tournait pas rond. Son air hagard m’inquiéta. Je poussais un cri en voyant du sang sur le bout de mes doigts et me mis à la recherche d’une blessure, sans résultats. Constater qu’il n’était pas blessé fut un réel soulagement, vite estompé par la violence de la question suivante ; à savoir d’où pouvait provenir ce sang. Je n’osais pas formuler ce qui me brûlait les lèvres, trop effrayée qu’il ait pu commettre un acte aussi ignoble que celui d’ôter une vie.

Je croyais en l’existence de Dieu et ce fait me perturbait au plus profond de moi, comme si je sombrais dans un abîme. Je devais réagir vite et faire preuve de courage pour apprendre la vérité. Même si l’accepter serait une autre paire de manches.  

― As-tu tué quelqu’un aujourd’hui ? risquais-je abruptement. 

― Non. 

― As-tu ordonné la mort de quelqu’un ? continuais-je sur ma lancée. 

― Non. 

― Dans ce cas, que s’est-il passé ? 

― Un de mes hommes a fait ce pour quoi il était payé. Me protéger. Et il vient de perdre sa vie, répondit-il livide.

J’étais choquée par la violence de ses propos énoncés froidement. Tout se bousculait dans ma tête. Je me posais mille et une questions. Finalement, je me demandais ce qu’il en serait, si c’était lui qui avait été touché. Si cette fois il n’était pas directement responsable de la mort de quelqu’un, qu’en était-il des fois précédentes ? Et si cet acte contre lui allait causer des actes contre un autre être vivant ? Les questions n’en finissaient plus. Elles dévalaient les pans de mon cerveau, plus rapides que je ne l’aurais souhaité. 

Prenant conscience de mon tourment et de mon questionnement, il se ressaisit et prit les devants. 

― Je n’ai jamais tué qui que ce soit, ni ordonné la mort d’une personne. Moi et mes hommes, en revanche, nous avons salement amoché des gens après qu’ils aient commis un acte impardonnable. Je ne tuerai sans doute que sous la contrainte, par exemple si quelqu’un s’en prenait à ce que j’ai de plus précieux. 

Ces propos me firent froid dans le dos. Son regard fixe me montra sa détermination. J’avais compris qu’il ne reculerait devant rien ni personne, si ce cas de figure se présentait à l’avenir.

― Je ne pourrais jamais être avec quelqu’un qui ne rend pas grâce à la vie. Les mots m’échappèrent avec une franchise abrupte. 

La douleur s’exprimait dans ses yeux alors qu’il prenait conscience de ce que je venais de lui avouer. C’était une sorte d’ultimatum auquel je venais de le confronter, quelque chose qui avait fait son cheminement en coulisse au fond de moi dès notre première rencontre. Je redoutais qu’il me laisse. Mais je m’y étais inconsciemment préparée. Il me serra fort dans ses bras avant de me relâcher, de me tourner le dos et de franchir le seuil de ma porte sans un regard en arrière, ni une pause. 


***


Les films mentaient. Deux êtres qui se séparaient ne revenaient pas sur leur pas à la seconde réalisant leur erreur. Je restais figée et fixais la porte. Un vide abyssal venait de me terrasser. Les pensées insidieuses qui m’avaient menée à cet échec de ne pas pouvoir retenir l’amour ; car c’était bien de cela dont il s’agissait, s’étaient tues. J’avais trop mal pour pleurer. 

Plus tard, prostrée dans mon lit, je hurlais d’une douleur rageuse dans mon oreiller. Mon cœur venait littéralement de se briser et je ressentais chaque éclat comme une morsure à l’intérieur de ma poitrine. Une première. Aucun argument mental ne me raisonnait, car à l’instant où il était parti, mon monde s’était effondré. Je ne pourrais jamais plus retourner à ma vie tranquille d’avant, sans pour autant vouloir vivre celle dangereusement séduisante qu’il m’avait fait apercevoir. J’ignorais désormais quelle était ma place, mes fondements ayant été ébranlés. Mon être tout entier vibrait de lui ; savoir que tout venait de prendre fin aussi simplement, ne rendait pas hommage à la profondeur de mes sentiments pour lui. 

Mon téléphone sonnait sans que je trouve la force d’y répondre. L’interphone faisait de même. Je restais muette, vidée de toute volonté et de toute énergie. Quelques instants plus tard, l’impensable se produisit. Keiji rouvrit ma porte. J’ignorais comment il s’y était pris, mais il était là et ce n’était pas une hallucination. La bascule fut instantanée, le fluide qui s’était rompu me submergea, laissant couler un flot de larmes. Je devais avoir une mine affreuse. 

― Je ne pourrais jamais m’éloigner de toi, Jeanne. Ce serait creuser ma propre tombe et libérer un être que je ne suis pas. Du moins que je ne veux plus redevenir. Je ne suis pas parfait et ne pourrais jamais te promettre de n’avoir aucun lien avec la faucheuse. Je ne veux pas laisser ma place auprès de toi à qui que ce soit. Tes sourires, tes larmes, tes peurs, tes colères, tes frustrations, tes joies… égoïstement je les veux toutes entières et vraies. 

C’était la plus belle déclaration qu’on ne m’ait jamais faite. Je restais interdite. Il était évident que le choix me revenait pour croire en l’homme bon qu’il était malgré lui, son visage d’enfant sur le tableau me revint vive à la mémoire. 

Les relations étaient histoires de compromis avant tout et perfides. J’exigeais de lui de me promettre, malgré tout qu’il ne prendrait jamais l’initiative de tuer, ni même de suggérer cet acte. Je savais aussi qu’en faisant cela, je risquais un jour de ne plus jamais le revoir. Son sens du devoir était aussi ancré que mes croyances en la Vie et c’est ce qui nous rendait si spéciaux aux yeux de l’un et de l’autre, comme l’éternel équilibre entre toute chose de ce monde. L’essence même du Ying et du Yang. 

Je voulais être un réceptacle pour lui et le laisser être le venin qui coulerait dans mes veines. Le sentiment de l’engagement était vital et le besoin charnel se fit pressant. 


J’étais prête. 


La raison était en train de me déserter. Les évènements ne suivaient pas leur cours, se marier d’abord et l’intimité ensuite. Tel était le refuge que j’avais trouvé pour me tenir éloignée des relations aléatoires. Mais l’abri s’était effondré dès l’instant où nos lèvres s’étaient liées. En le sauvant, je m’étais fourvoyée. 

Les papillons au ventre, l’adrénaline de l’instant et sa présence me firent me mouvoir pour lui tendre la main, l’attirer sur mon lit avec le désir irrépressible de connaître ma première fois. Mon esprit était brumeux, mon corps était aux commandes. Je me découvris une hardiesse et une passion inédite, effrayante et pourtant, tellement enivrante. Le toucher allait de soi, en commençant par ses épais cheveux avant de descendre vers son visage sur lequel je traçais du bout des doigts chaque contour. Sous eux, je sentais la brûlure de l’envie. 

Mes mains poursuivirent leur découverte vers son cou à partir duquel je défaisais chaque bouton de sa chemise. Je faisais preuve d’une hardiesse que je me découvrais, à le déshabiller, le cœur semblable à une cocotte-minute. Lui retirant son haut, le moindre détail m’apparaissait comme une révélation. Sur chacune de ses cicatrices je déposais un doux baiser comme pour conjurer le mauvais sort allant de la plus récente lorsque nous nous sommes rencontrés à de plus anciennes sur son épaule droite et sur son torse ferme. Je remontais vers ses lèvres tandis qu’il avait suivi le chemin de ma bouche, me fixant de son regard de braises aux pupilles dilatées. Mes mains avides parcouraient ses bras pour revenir vers son torse et ses abdominaux, fruits de longues séances d’entraînement. 

Il plongea son regard ardent dans le mien avant d’entremêler nos bouches. Keiji entreprit ensuite de caresser mon corps comme je l’avais fait pour lui. Me retirant mon t-shirt, ses mains se baladant sur ma peau frissonnante, me laissant un sentiment délectable. Après m’avoir retiré mon soutien-gorge à carreaux dans un camaïeu de rose, il suçota, mordilla, caressa et me fit ressentir chaque cellule de mon être. J’oscillais entre l’hormone de l’amour et celle de la passion. Je sentais mes veines pulser. Mon cœur battait d’un rythme nouveau que je ne saurais pas décrire précisément ; mais il y avait quelque chose de suave. Dans chaque mouvement primitif, une onde de passion déferlait. Les caresses créaient cette musique envoûtante qui nous faisait danser. J’étais totalement subjuguée. C’était mon bal des débutantes. 

Nos corps réagissaient d’eux-mêmes. Nos mains audacieuses cherchaient à poursuivre leur dessein de nous mettre à nus. Alors que je débouclais sa ceinture pour ensuite m’attaquer à la fermeture éclair de son pantalon, il passait déjà ses doigts puis sa paume sous le tissu de mon short. 

Il me releva pour m’allonger sur le dos, debout, il finit de retirer son pantalon et se débarrassa de son boxer. 

Une nouvelle vibration me submergea, anéantissant toute pensée cohérente qui aurait pu me rester. Il revint à moi pour me retirer avec une lenteur insoutenable mon bas. Couchée au-dessus de moi, sa main descendit tout le long de mon corps, 

Avec ses doigts méticuleux, il jouait une irrésistible mélodie dont chaque note résonnait dans tout mon être. Alors que mes mains empoignèrent ses cheveux, avant de continuer leur ballet sur son dos. Je sentais une nouvelle cicatrice plus longue qui commençait depuis son omoplate pour finir au milieu de son dos. Mes larmes qui s’étaient taries plus tôt me revinrent avec la pensée de tout ce qu’il avait pu traverser. 


Je n’étais pas sa première conquête, au vu de son expertise. 


Apeurée ou réalisant brièvement ce qu’impliquait cet évènement dans ma vie de ma femme, dans un moment de lucidité, je lui avouais que c’était ma première fois. 

Il s’en était douté la fois précédente dans sa salle de bain. Une lueur que je n’avais pas réussi à déchiffrer s’était épanouie dans ses yeux.

― Fais-moi confiance. Agrippe-toi à moi ! me susurra-t-il en rapprochant sa bouche délicate de mon oreille. 

Il emplit ma bouche de la sienne et alors que je m’exécutais, il agit avec précaution. La morsure me saisit, mélange de douleur et de douceur, m’arrachant une lamentation. Dans la magie de l’instant, je fis le vœu intérieur qu’il soit à jamais le seul homme. 

Il continua son tendre mouvement dans l’harmonie sensuelle que nos deux corps venaient de conquérir. Il éveillait par sa sensualité languissante un rugissement qui me fit me mouvoir frénétiquement avant de me cambrer jusqu’à atteindre l’explosion de nos sens. 


Propulsés quelque part hors de ce monde, ensemble. 


La découverte de cet accord charnel entre nous me terrifia, car à l’avenir je voudrais toujours plus de tendresse, de passion et d’intimité partagée.  

― Merci pour ce merveilleux cadeau, Jeanne, chuchota-t-il contre mes lèvres, ses yeux rivés aux miens, me ramenant sur terre. 

Il se retira. Épuisé de notre danse sur une mélodie qui nous appartenait désormais, le sommeil nous enveloppa dans les bras de l’un et de l’autre.  


Keiji venait de faire de moi, une femme. 


C’est à mon réveil au beau milieu de la nuit que je le constatais concrètement sur les draps.

Il ne dormait plus et avait allumé la guirlande lumineuse au-dessus de mon lit. Après un passage à la douche, nous grignotâmes des bâtonnets aux graines de sésame avant de retenter l’expérience charnelle avec en fond, des musiques romantiques qui jouaient. Les premières notes d’une de ces musiques résonnaient, donnant le rythme à notre corps-à-corps au bord de l’érotisme. 

Il était assis au bord du lit. Mes mains encadraient son visage avant de sombrer à nouveau dans la douceur infinie d’une sexualité nouvellement acquise avec un vaste jardin à explorer. Mon être lui avait non seulement été offert, mais également mon cœur. Je réunissais chaque cellule de moi-même pour lui communiquer ma promesse d’être sienne à jamais.  


***


Les semaines, puis les mois passèrent paisiblement depuis que j’avais délicieusement perdu ma vertu dans les bras de cet amant expert. Keiji ne me quittait qu’après le petit déjeuner et venait me retrouver après mes longues journées de travail, pour des nuits où le sommeil avait peu d’importance.

Il éveillait mon corps à de nouvelles sensations et mon cœur l’initiait à la vie ordinaire que je voulais égoïstement pour nous. Nous construisions notre histoire à l’abri des regards pour mieux jouir de l’excitation et nous tenir loin du tumulte. J’appréciais mon bonheur. Pleinement épanouie dans ma nouvelle vie, j’oubliais que le ciel pouvait rapidement s’assombrir.

Tandis que nous filions le parfait amour, mon visage trahissait mon bonheur. Mes collègues m’avaient gentiment charriée au début, sur cette nouvelle, moi. Puis, au fil du temps, certains se mirent à jaser. L’une des assistantes d’un autre service, qui semblait prendre le métro que moi chaque matin, ne m’y voyait plus. Et un jour, elle avait assisté à une scène devenue banale : moi sortant d’un luxueux véhicule tandis qu’un des hommes de Keiji jouait les gardes du corps. Cette soudaine ascension sociale semblait attiser les mauvaises langues. 

Même si je restais égale à moi-même, affectionnant mon travail et donnant le meilleur de mes compétences, les bruits de couloirs allaient bon train, jusqu’aux oreilles de Simon. J’avais alors eu droit à un interrogatoire en bonne et due forme. Penaude, je restais interdite.

Une fois en rentrant du boulot, la mine déconfite, je demandais à mon homme plus de discrétion. J’étais prête à prendre de nouveau les transports en commun pour éviter les regards épinglant mon dos. Mais il avait réussi à me convaincre que je ne devais pas y prêter attention, soulignant que ce n’était pas mon équipe proche qui commérait. Il ajouta que ma sécurité était plus importante. Je m’étais sentie démunie et un peu blessée de le voir minimiser ce que je traversais, mais incapable de changer notre nouveau quotidien au nom de l’amour. 

Un matin pourtant, la routine avait été interrompue. Keiji était parti à l’aube, promettant de venir me prendre après le travail. Comme nous étions samedi, je me préparais à prendre seule mon petit déjeuner avant d’aller au centre de fitness, ce qui ne m’était pas arrivé depuis un moment. Ce fut sur la première étape que tout se corsa, j’eus des haut-le-cœur. Véritable gifle matinale que de réaliser que je n’avais pas eu mes règles depuis un peu plus de deux mois. Je n’avais jamais été régulière, mais en tenant compte des récents évènements, du fait que nous ne nous étions jamais protégés et que la pilule n’avait jamais fait partie de mon quotidien, l’improbable ne l’était soudainement plus. Le ventre noué, je me passais une petite robe d’été pour aller à la pharmacie, vérifiant au passage dans le miroir la présence d’une quelconque rondeur, sans résultat. Tout le long de ce processus il me faudrait trouver une excuse pour que le rapport que feraient ses hommes à Keiji ne me trahissent pas, l’excuse d’une migraine où d’un besoin de vitamines pour toutes nos heures perdues de sommeil, ferait l’affaire.  

Arrivée à destination, je demandais au pharmacien trois tests de grossesse et une boîte de vitamine. Je ne devais pas changer mes habitudes pour ne pas éveiller les soupçons, je suivis donc mon programme avec des efforts moins intensifs. À la sortie du centre de remise en forme, je manquais de me faire renverser par une mobylette tandis que j’étais distraite par mes pensées. Il me faudrait une excuse pour m’isoler le lendemain matin puisque de mes recherches sur internet, les résultats étaient plus probants à jeun. Pour une fois je priais pour que Keiji soit parti avant le petit déjeuner. 

Honnêtement, je devais reconnaître que je redoutais sa réaction face à une telle annonce qui remettrait en cause ce que nous étions devenus, après tout, il ne m’avait jamais dit qu’il ne m’aimait ni qu’il souhaitât m’épouser. Jusqu’ici je composais avec ces évènements qui ne répondaient pas aux valeurs conservatrices inculquées par mes parents. Je refusais également que Keiji puisse se sentir contraint de rester uniquement parce qu’il y aurait désormais entre nous un lien de sang. Peut-être que je me faisais une montagne de rien et que ce n’était qu’une alerte de mon corps mis à l’épreuve, ces derniers temps avec une hygiène de vie bouleversée. Je devrais néanmoins en être certaine pour aviser ensuite. Par ailleurs, il n’avait jamais mentionné le fait de vouloir des enfants. La question d’une paternité indésirée me réduisait à un sentiment nouveau, entre la peur et le souhait farouche de protection. 

Ma journée s’était écoulée sous le signe des hautes températures, caractéristiques de la saison, sans que je ne puisse réellement avaler quoi que ce soit. Plus tard, Keiji avait appelé pour me dire qu’il devrait s’absenter plus longtemps que prévu et ne serait de retour que le lendemain. Mes prières avaient été entendues. Après une nuit agitée, je me réveillais, anxieuse de ce que je pourrais voir se confirmer. 

Sans plus attendre, je sautais du lit et fis le test, une fois, deux fois, trois fois. Et à chaque fois le résultat avait été sans appel. J’étais bel et bien enceinte. Un nœud me serra la gorge tant j’étais désemparée en imaginant les pires scénarios dans lesquels l’issue était identique, Keiji me laisserait. Je me fixais dans le miroir, une main traçant des cercles sur mon ventre. Je tentais de sentir comme pour rendre les choses plus réelles qu’elles ne l’étaient déjà. Mais le test de grossesse était encore abstrait pour moi. Cependant, je devais me ressaisir et contacter le médecin qui m’avait été recommandé par Simon lorsque je m’étais installée à Hong Kong. Il m’avait dit alors de ne pas hésiter à faire appel à lui, sans restriction ni d’horaires ni de jours. C’était comme moi un expatrié d’une quarantaine d’années, installé ici depuis longtemps puisqu’adopté. Il était originaire d’ici et avait souhaité revenir à ses sources. Je lui exposais ma situation brièvement. Il me proposa de passer chez lui pour une consultation, il y aurait tout le matériel nécessaire et ce serait donc aisé. Je prétextais donc devoir me rendre chez un couple de vieux amis, auprès de Sheng. Chez lui, le docteur Benoît m’ausculta dans une pièce attenante au patio de sa maison et aucun signe contradictoire ne semblait mettre en cause la santé du fœtus ni la mienne. Il me prescrivit d’autres examens pour suivre ma grossesse et me recommanda de revoir mon hygiène de vie telle que pratiquer le sport de façon plus modérée, me reposer et éviter les situations stressantes après m’être questionnée sur mes habitudes. 

À mon regard perdu dans le vide, il se doutait bien que je ne l’écoutais plus aussi attentivement et me prêta une oreille. Je ne pouvais lui conter toute mon histoire, mais je décidais que soumis au secret médical, il était la personne idéale à qui m’épancher. Je lui confiais donc ma situation avec le père du bébé. 

― Mon meilleur conseil pour vous, Jeanne, est de tout dire à votre ami. L’avenir auquel vous vous préparez ne peut être le fruit d’une décision unilatérale. Une grossesse est une affaire de couple avant tout. 

S’il avait l’air convaincu qu’avec Keiji, nous formions un couple. Je n’étais pas moins rassurée pour autant. Mais il avait raison. Pour pouvoir avancer, je devrais en discuter avec Keiji et n’ayant jamais su me contenir, je lui avouerais dès son retour qui eut lieu plus tôt que prévu, car il m’attendait à l’extérieur. 

Je pris congé du médecin qui me proposa de m’aider si un jour j’en avais besoin en regardant les voitures noires qui m’attendaient dehors. Le remerciant, je me hâtais de retrouver Keiji dans le véhicule tout-terrain sans l’enthousiasme de nos retrouvailles habituelles. 

― Que fais-tu chez un médecin ? Quelque chose ne va pas ? s’enquit-il visiblement inquiet. 

― C’est un vieil ami comme a dû te le rapporter Sheng. 

― Pourquoi ce mensonge éhonté ? 

― Han, pouvez-vous nous conduire au temple de Tin Hau ? lançais-je. 

Démasquée, c’était inutile de poursuivre. 

― Hors de question, répliqua Keiji. 

― Pourquoi ? 

― Ce n’est pas un lieu sûr pour être vus ensemble. 

Ma stupidité me frappa, comment oublier que nous serions à proximité du quartier de Mong Kok connu pour ses triades. Le mythe était devenu réalité pour moi. D’un autre côté, mon cœur se fissura avec la piètre opinion que je n’étais pas assez bien pour nous afficher comme un couple, même si je savais que le problème était lié à ma sécurité avant tout. 

― Je suis désolée. Je n’avais pas pensé aux implications de ce lieu. Et au temple de Ching Chung Koon ? 

― Pourquoi veux-tu te rendre dans un temple ?

― Parce que ce sont des endroits paisibles généralement et que j’aimerais aussi manger végétarien aujourd’hui.

La viande ou tout autre plat riche me révulsait. Keiji me scrutait toujours inquisiteur, mais acquiesça et nous prîmes la direction des Nouveaux Territoires. 

Un trajet qui me parut bien long dans le silence dans lequel j’étais murée. Je sentais le regard de l’homme, qui était le père du bébé que je portais, me brûler, incandescent et suspicieux. 


***


À l’entrée, les bonsaïs étaient toujours disposés de la même façon que je les connaissais intemporels. Nous longeâmes l’un des bâtiments qui débouchaient sur une sorte de parking, avant de traverser le jardin zen et de nous asseoir à l’ombre d’une pagode au milieu d’un bassin rempli de tortues. 


― Tu vas être papa.


Il me regardait, ahuri. Il se leva d’un bond et se mit à faire les cent pas. Je venais de lâcher une bombe. Le piaillement des oiseaux laissa place au son de l’erhu, du chiba et du bangu qui jouaient au loin, accompagnés d’autres instruments mélodieux et rythmés. L’harmonie de leurs arrangements tranchait nettement avec le tremblement de mes mains moites. J’étais anxieuse, car Keiji n’avait toujours pas prononcé un mot durant les minutes qui avaient suivi ma révélation. Il semblait hors de lui. Je me levais à mon tour, m’approchant des barrières rouge et jaune pour regarder l’eau, toujours concentrée sur la musique traditionnelle chinoise en fond pour ne pas perdre le contrôle de moi-même. J’aurais presque cru sentir comme une odeur d’encens. 

Ce fichu choc culturel ne m’avait jamais autant frappée qu’à cet instant.

― Je ne peux pas et je ne veux pas t’imposer une paternité que tu ne souhaites pas, dis-je l’esprit embrumé, ne tenant plus face à son silence. 

― Comment est-ce arrivé ? Son ton sec semblait plus désemparé que colérique. 

― Je crois qu’un de tes spermatozoïdes a fini par séduire mon ovule alors que nous avons fait l’amour plusieurs fois depuis des semaines. Répondis-je cynique.

― Tu sais très bien ce que je veux dire. 

― Tu étais celui qui utilisait les protections. Mais, il est arrivé que tu n’aies pas de préservatif. Inutile de faire valoir les circonstances. Je n’ai jamais pris la pilule, car je n’en ai jamais vu l’utilité, car je n’ai jamais été régulière et cela n’a pas été un sujet de discussion entre nous. J’étais sotte, irresponsable et loin de m’imaginer tomber enceinte tant je flottais dans notre bonheur. 

Les larmes me piquaient les yeux, mais je devais rester forte. Quant à l’angoisse, elle fit place à une détresse muette dans mon cœur. 


― Je ne pourrais jamais rien apporter de bon à cet enfant. 


Son affirmation sans ambiguïté me blessa. 

― Pourquoi ? Tu m’offres bien de ton temps, de ta personne et du respect. Il n’en exigera pas davantage de toi, m’entendis-je prononcer d’une voix suppliante qui brisa ma fierté. 

― L’insécurité et l’absence. Voilà à quoi il devra faire face, tout comme toi.

Ses mots me faisaient mal, transperçant mon cœur de la pointe de leur lame aiguisée.

― Ton choix est donc fait, tu ne feras pas partie de nos vies ?

― Tu pourras rentrer avec Sheng. Mes dispositions ne changeront pas concernant ta sécurité. J’ai besoin de réfléchir. 

― Réfléchir évidemment ! haussais-je la voix. Puisqu’il n’y a que ta vie qui est impactée, inutile de continuer. Les paroles que tu viens de prononcer, je m’y attendais depuis hier lorsque je l’ai soupçonné et ce matin je les ai craintes quand le médecin m’a confirmé ma grossesse.

― Tu ne le savais pas ? 

― Bien sûr que non ! Que croyais-tu ? Que je t’avais piégé ? Que j’avais eu le temps de m’y faire et de réfléchir ? Eh bien non, l’idiote romantique que je peux être, voulait croire à la lueur d’espoir que j’ai cru voir en toi. Je n’étais pas prête non plus à renoncer à nous ni à ma vie, mais c’est un être sans défense à qui je donnerai le jour et que j’aimerai, avec ou sans toi, car je t’aime. 

Je venais de dire ce que j’avais souhaité taire pour ne pas jouer sur les cordes sensibles de Keiji. C’était plus fort que moi. Je voulais qu’il comprenne que mon choix était de garder notre enfant puisqu’il ne s’agissait pas d’un complot pour le retenir, mais il était bel et bien question d’amour. 

― Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais même pas ce que je ressens. 

― A quoi pensais-tu ? Tu croyais que je me serais offerte à toi sans rien éprouver ? T’ai-je donné des raisons de penser que je n’attendrais jamais rien de toi ? Nous n’avons certes jamais parlé d’engagement, ni envisagé des plans pour le futur, pour autant, pour moi… tout au fond de moi… j’espérais que tu savais que tu serais à jamais le seul homme qui compte. 

Je tournais les talons, pris la direction de la sortie, pour marcher un peu avant de trouver un taxi qui me ramènerait chez moi. Keiji me poursuivit un moment plus tard, me demandant de m’arrêter, me suppliant de pardonner sa maladresse. Lorsqu’il saisit mon bras ballant, il me ramena vers lui, dans la protection de ses bras. Son cœur battait aussi vite que le mien. Ma vie me parut alors comme une scène d’un mélodrame.

― Accorde-moi un peu de temps pour tout arranger, s’il te plaît ? me demanda-t-il toujours en m’enlaçant, tandis que son cœur cognait si fort qu’il trouvait un écho dans ma poitrine. 

― De combien de temps as-tu besoin ? 

Je ne voulais pas mettre ma vie entre parenthèses. Il était temps que je sois fixée. Soit il m’aimait, soit ce n’était pas le cas et je devrais prendre mes dispositions pour mon travail, pour ma vie en tant que mère célibataire et pour l’annoncer à ma famille. Je devrais peut-être même envisager de retourner en France auprès des miens pour traverser cette épreuve avec sérénité et réconfort.

― Quelques jours. 

― C’est bien trop vague. 

― Deux ou trois jours. 

Il tentait de recouvrer son calme olympien. Je ne souhaitais pas qu’il se sente acculer dans cette situation. Et je ne voulais pas non plus qu’il agisse uniquement guidé par son sens du devoir. 

J’opinais de la tête, me détachant de sa chaleur et m’humectant les lèvres, les larmes roulant sur mes joues. Je me sentais ridicule de l’emprise qu’il avait sur moi.  


― Viens. Rentrons, me dit-il en me poussant vers le véhicule noir après avoir séché mes larmes de ses manchettes. 

Sur la banquette arrière, je restais loin de lui, mais il se rapprocha et me prit la main, entremêlant nos doigts. J’étais confuse, certainement autant que lui. Nous étions comme des automates à faire ce qui nous semblait juste, le temps d’y voir plus clair. Pour lui, plus que ses affaires à régler, il devait aussi faire le point sur ses sentiments ; quant à moi je devrais me préparer à toutes les éventualités en évitant d’être trop stressée. Je me sermonnais de ne rien n’attendre de lui. La chute n’en serait que plus douloureuse.  

Il me ramena chez moi, promettant de revenir. La porte qu’il venait de refermer sur lui n’était pas le signe de nos adieux. Je voulais croire en sa parole donnée. S’il n’y avait pas d’amour, je ne pourrais pas continuer ainsi. Je ne pourrais pas non plus priver ce petit être de son père, si c’était là son souhait. Je pensais, une main attendrissante sur mon bas ventre pour me rassurer autant que cette vie qui grandissait en moi. 

Pour me reposer, je mis une compile de musique celtique. Je priais Dieu de m’accorder son pardon pour avoir laissé la chair être faible avec pour résultat d’impliquer un être fragile. J’avais besoin de sa bénédiction pour nous protéger tous les deux, mon enfant et moi-même. La grande ville à l’extérieur me semblait presque étouffante, et trop petite pour contenir une histoire comme la nôtre. Jamais une triade  

n’accepterait de laisser partir l’un des leurs sans conséquence et jamais je ne serais l’une des leurs. Tel était le film qui se déroulait dans ma tête, construit sur des fictions que j’avais lues ou vues. 

Pour passer ce cap et cesser de penser, j’avais besoin de créer. Je sortis donc m’acheter une toile vierge et quelques aquarelles pour peindre. Et à mon retour, je peignais l’amour tel que je le percevais dans l’adversité. Je me souvenais d’une scène du film américain sur le dernier amérindien de sa tribu que j’avais regardé avec Keiji un soir sur la terrasse, lors d’une de nos séances de cinéma privé. Les personnages secondaires d’Uncas et Alice représentaient le visage de l’amour pur entre un amérindien et une jeune fille du monde, qu’il ne connaîtrait jamais avec leur fin à la façon Roméo et Juliette. Affamée, car n’ayant pas mangé de toute la journée, je m’arrêtais. Il me faudrait revenir sur cette peinture pour la terminer et faire quelques retouches, un autre jour. Pour l’heure, des légumes et du tofu me paraissaient être un meilleur réconfort. Après avoir cuisiné, j’étais satisfaite de répondre à cette envie frugale inhabituelle. 


- Fin du chapitre - 


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Embrasser nos Différences
Chapitre 5

J’avais dû m’endormir, car je m’étais réveillée sur son lit. Je détaillais alors sa silhouette tandis qu’il regardait dehors, immuable. Un corps ferme et ciselé. Sa musculature n’était pas excessive, mais elle n’enlevait rien à la puissance qui émanait de lui. Sans doute obtenue par des heures d’entraînements intensifs d’arts martiaux. Je me levais sur la pointe des pieds pour aller coller ma tête contre son dos et l’enlacer à mon tour. Tout ressentiment s’était évaporé. 

― Que m’a valu cette réaction déraisonnable plus tôt, Jeanne ?

Pour réponse, je lui contais mon histoire à Pékin. Les gardiens nous avaient pris pour des allumeuses mon amie et moi alors que nous tentions de leur expliquer dans un mandarin encore approximatif, qu’on avait été suivi. Nous étions à bout de souffle après une course effrénée et le détraqué, auteur du fait nous snobait hilare, jusqu’à ce qu’un couple intervienne pour le faire partir. Je lui précisais qu’à l’époque, nous en rigolions, mais récemment, le sentiment d’insécurité avait pris le dessus depuis qu’il avait bouleversé mon monde. Je finis  

par exiger de lui de me présenter à celui qui aurait la charge de faire ma filature et de me communiquer son numéro. Si les appels étaient exclus, des textos feraient l’affaire.

― Pourquoi es-tu allée dans ce pub si tu te savais suivie ? Il avait choisi de revenir sur le sujet.

― Parce que c’est un endroit où il y a du monde. Il n’aurait donc rien tenté. Et j’avais confiance en toi, comme si tu étais une araignée et Hong Kong, ta toile. 

― Que veux-tu dire ? 

― J’étais convaincue que tu viendrais, peu importe où je me trouvais… tu finirais toujours par me retrouver. 

― Et si je n’étais pas venu ?

Je le serrais plus fort en guise de réponse et enfouis davantage ma tête dans le creux de ses omoplates. 

Après un bain chaud que je partageais seule cette fois, j’enfilai un peignoir avant d’aller le rejoindre au lit où je me rendormis, épuisée. À l’aube, émue, je constatais que Keiji dormait toujours à mes côtés. Le cœur joyeux, je le regardais sans oser le toucher pour ne pas rompre le charme. Lorsqu’il se réveilla plus tard, il me gratifia d’un sourire éclatant. Conquérant, il roula et se plaça au-dessus de moi, ses bras aux veines saillantes, tendus de part et d’autre de mon visage. Il me proposa de l’accompagner au jardin pour une séance de tai-chi avant de prendre le petit déjeuner ; afin d’accueillir positivement cette nouvelle journée.   

Nous passâmes la porte d’entrée pour longer les baies vitrées du salon et de la salle à manger, posant les pieds sur des pierres japonaises en direction d’un bassin au décor zen, rempli de carpes et de truites rouges, jaunes et blanches et nous traversâmes le petit pont rouge qui s’élevait au-dessus. L’endroit regorgeait de palmiers, d’arbres fruitiers et c’est à l’ombre d’un arbre à coton et d’une bauhinia en floraison, dont la fleur est le symbole de Hong Kong, qu’il me montra les mouvements de base que je tentais maladroitement de suivre.  

― Tu dois trouver ton équilibre. Inspire et trace mentalement le chemin par ton dos et tes organes. Expire par la bouche, comme si ton souffle venait de là, me dit-il en posant la main sur mon ventre.

Il m’écarta les jambes à hauteur des hanches avec l’aide de son pied, puis m’aida en passant derrière moi, à fléchir le bassin en avant. 

― Cherche à éliminer les points de tensions au niveau de ta nuque, de tes épaules et de ton bassin en te calquant sur ta respiration, ajouta-t-il. 

Une fois la posture trouvée et mon corps détendus, il reprit lentement les mouvements pour se détendre, les genoux fléchis, les jambes remontant en extension tandis que les bras étaient à l’horizontale face à soi lors de l’inspiration, avant de les redescendre et de fléchir les jambes en expirant. Il enchaîna ensuite avec la partie relaxation, où il fallait basculer tout son poids sur la jambe gauche et tourner le haut du corps vers la droite en inspirant. Nous fîmes la même chose de l’autre côté tout en respectant la posture et l’exercice de respiration. Il s’agissait ensuite de pencher le buste vers l’avant, la tête la première, et laisser pendre les bras en déroulant le dos pour apaiser ses sensations. À la fin de l’exercice, mes mouvements étaient en synchronisation avec ceux de Keiji. Assis, nous finîmes par de la méditation. 

Cet instant partagé ensemble renforça mon sentiment de sécurité. Je soupçonnais Keiji de m’avoir initié pour donner suite à notre conversation de la veille. 

Au lieu de prendre le petit déjeuner à l’intérieur, ce fut sur la terrasse à l’ombre des arbres que nous avions mangé. Keiji redoublait d’attention pour moi, ce que je trouvais bizarre. Mon expression avait certainement laissé transparaître ma méfiance, ce qui l’avait alerté. 

― Je dois m’absenter le reste de la journée. J’ignore quand je serai de retour. C’est Sheng, l’homme d’hier qui t’accompagnera. Il a en sa possession un téléphone portable à partir duquel tu pourras me contacter. Ou le cas échéant, Han. 

Touchée qu’il ait entendu ce que j’avais sur le cœur, je me levais pour l’embrasser sur la joue en guise de remerciement, comme une adolescente à qui on vient d’offrir un cadeau. Il fit la moue, m’attira sur ses genoux et exigea un vrai baiser. Il entrouvrit délicatement ma bouche, y glissa sa langue pour approfondir cette valse exquise.


***


Après le départ de Keiji, je décidais d’aller à la plage afin de profiter de la journée ensoleillée qui s’annonçait et des températures qui s’adoucissaient à l’approche de l’été. De passage chez moi pour préparer quelques affaires et enfiler mon maillot de bain mauve aux motifs bleu lagon, je me demandais pendant combien de temps j’aurais encore quelqu’un en charge de ma surveillance. La vérité m’apparut alors brutale. Cela serait nécessaire aussi longtemps que Keiji ferait partie de ma vie, soulevant tout autant d’autres questions auxquelles je préférais ne pas avoir de réponse. Je ne souhaitais pas anticiper la souffrance, car l’avenir m’échappait totalement.  

Arrivée à Repulse Bay, il y avait peu de monde. Je trouvais facilement un emplacement où m’installer. Considérant que Sheng devait souffrir dans sa tenue noire qui détonnait avec l’environnement estival fortement ensoleillé, je lui achetais une boisson fraîche. Je n’aimais pas franchement entrer dans l’eau, profiter du sable chaud me convenait parfaitement. De plus, la mer de Hong Kong avait pour effet de plisser rapidement la peau de mes mains et de mes pieds. Nous étions loin des idées reçues sur les plages paradisiaques ou de ce que m’avait dit ma mère à propos de celles des îles vanille de l’océan Indien. La journée s’écoula paisiblement. Ce qui était idéal pour continuer le travail de ce matin. 

En fin d’après-midi, de retour chez moi, je me posais pour lire quelques mangas en sirotant un smoothie aux fruits rouges. Le ciel s’était assombri d’un coup, un orage éclata et une pluie torrentielle se déversa, m’obligeant à continuer à l’intérieur. L’intersaison pouvait être imprévisible ici. L’interphone sonna, c’était Keiji. 

Lorsque je lui ouvris, je le pris contre moi, me rendant compte que quelque chose ne tournait pas rond. Son air hagard m’inquiéta. Je poussais un cri en voyant du sang sur le bout de mes doigts et me mis à la recherche d’une blessure, sans résultats. Constater qu’il n’était pas blessé fut un réel soulagement, vite estompé par la violence de la question suivante ; à savoir d’où pouvait provenir ce sang. Je n’osais pas formuler ce qui me brûlait les lèvres, trop effrayée qu’il ait pu commettre un acte aussi ignoble que celui d’ôter une vie.

Je croyais en l’existence de Dieu et ce fait me perturbait au plus profond de moi, comme si je sombrais dans un abîme. Je devais réagir vite et faire preuve de courage pour apprendre la vérité. Même si l’accepter serait une autre paire de manches.  

― As-tu tué quelqu’un aujourd’hui ? risquais-je abruptement. 

― Non. 

― As-tu ordonné la mort de quelqu’un ? continuais-je sur ma lancée. 

― Non. 

― Dans ce cas, que s’est-il passé ? 

― Un de mes hommes a fait ce pour quoi il était payé. Me protéger. Et il vient de perdre sa vie, répondit-il livide.

J’étais choquée par la violence de ses propos énoncés froidement. Tout se bousculait dans ma tête. Je me posais mille et une questions. Finalement, je me demandais ce qu’il en serait, si c’était lui qui avait été touché. Si cette fois il n’était pas directement responsable de la mort de quelqu’un, qu’en était-il des fois précédentes ? Et si cet acte contre lui allait causer des actes contre un autre être vivant ? Les questions n’en finissaient plus. Elles dévalaient les pans de mon cerveau, plus rapides que je ne l’aurais souhaité. 

Prenant conscience de mon tourment et de mon questionnement, il se ressaisit et prit les devants. 

― Je n’ai jamais tué qui que ce soit, ni ordonné la mort d’une personne. Moi et mes hommes, en revanche, nous avons salement amoché des gens après qu’ils aient commis un acte impardonnable. Je ne tuerai sans doute que sous la contrainte, par exemple si quelqu’un s’en prenait à ce que j’ai de plus précieux. 

Ces propos me firent froid dans le dos. Son regard fixe me montra sa détermination. J’avais compris qu’il ne reculerait devant rien ni personne, si ce cas de figure se présentait à l’avenir.

― Je ne pourrais jamais être avec quelqu’un qui ne rend pas grâce à la vie. Les mots m’échappèrent avec une franchise abrupte. 

La douleur s’exprimait dans ses yeux alors qu’il prenait conscience de ce que je venais de lui avouer. C’était une sorte d’ultimatum auquel je venais de le confronter, quelque chose qui avait fait son cheminement en coulisse au fond de moi dès notre première rencontre. Je redoutais qu’il me laisse. Mais je m’y étais inconsciemment préparée. Il me serra fort dans ses bras avant de me relâcher, de me tourner le dos et de franchir le seuil de ma porte sans un regard en arrière, ni une pause. 


***


Les films mentaient. Deux êtres qui se séparaient ne revenaient pas sur leur pas à la seconde réalisant leur erreur. Je restais figée et fixais la porte. Un vide abyssal venait de me terrasser. Les pensées insidieuses qui m’avaient menée à cet échec de ne pas pouvoir retenir l’amour ; car c’était bien de cela dont il s’agissait, s’étaient tues. J’avais trop mal pour pleurer. 

Plus tard, prostrée dans mon lit, je hurlais d’une douleur rageuse dans mon oreiller. Mon cœur venait littéralement de se briser et je ressentais chaque éclat comme une morsure à l’intérieur de ma poitrine. Une première. Aucun argument mental ne me raisonnait, car à l’instant où il était parti, mon monde s’était effondré. Je ne pourrais jamais plus retourner à ma vie tranquille d’avant, sans pour autant vouloir vivre celle dangereusement séduisante qu’il m’avait fait apercevoir. J’ignorais désormais quelle était ma place, mes fondements ayant été ébranlés. Mon être tout entier vibrait de lui ; savoir que tout venait de prendre fin aussi simplement, ne rendait pas hommage à la profondeur de mes sentiments pour lui. 

Mon téléphone sonnait sans que je trouve la force d’y répondre. L’interphone faisait de même. Je restais muette, vidée de toute volonté et de toute énergie. Quelques instants plus tard, l’impensable se produisit. Keiji rouvrit ma porte. J’ignorais comment il s’y était pris, mais il était là et ce n’était pas une hallucination. La bascule fut instantanée, le fluide qui s’était rompu me submergea, laissant couler un flot de larmes. Je devais avoir une mine affreuse. 

― Je ne pourrais jamais m’éloigner de toi, Jeanne. Ce serait creuser ma propre tombe et libérer un être que je ne suis pas. Du moins que je ne veux plus redevenir. Je ne suis pas parfait et ne pourrais jamais te promettre de n’avoir aucun lien avec la faucheuse. Je ne veux pas laisser ma place auprès de toi à qui que ce soit. Tes sourires, tes larmes, tes peurs, tes colères, tes frustrations, tes joies… égoïstement je les veux toutes entières et vraies. 

C’était la plus belle déclaration qu’on ne m’ait jamais faite. Je restais interdite. Il était évident que le choix me revenait pour croire en l’homme bon qu’il était malgré lui, son visage d’enfant sur le tableau me revint vive à la mémoire. 

Les relations étaient histoires de compromis avant tout et perfides. J’exigeais de lui de me promettre, malgré tout qu’il ne prendrait jamais l’initiative de tuer, ni même de suggérer cet acte. Je savais aussi qu’en faisant cela, je risquais un jour de ne plus jamais le revoir. Son sens du devoir était aussi ancré que mes croyances en la Vie et c’est ce qui nous rendait si spéciaux aux yeux de l’un et de l’autre, comme l’éternel équilibre entre toute chose de ce monde. L’essence même du Ying et du Yang. 

Je voulais être un réceptacle pour lui et le laisser être le venin qui coulerait dans mes veines. Le sentiment de l’engagement était vital et le besoin charnel se fit pressant. 


J’étais prête. 


La raison était en train de me déserter. Les évènements ne suivaient pas leur cours, se marier d’abord et l’intimité ensuite. Tel était le refuge que j’avais trouvé pour me tenir éloignée des relations aléatoires. Mais l’abri s’était effondré dès l’instant où nos lèvres s’étaient liées. En le sauvant, je m’étais fourvoyée. 

Les papillons au ventre, l’adrénaline de l’instant et sa présence me firent me mouvoir pour lui tendre la main, l’attirer sur mon lit avec le désir irrépressible de connaître ma première fois. Mon esprit était brumeux, mon corps était aux commandes. Je me découvris une hardiesse et une passion inédite, effrayante et pourtant, tellement enivrante. Le toucher allait de soi, en commençant par ses épais cheveux avant de descendre vers son visage sur lequel je traçais du bout des doigts chaque contour. Sous eux, je sentais la brûlure de l’envie. 

Mes mains poursuivirent leur découverte vers son cou à partir duquel je défaisais chaque bouton de sa chemise. Je faisais preuve d’une hardiesse que je me découvrais, à le déshabiller, le cœur semblable à une cocotte-minute. Lui retirant son haut, le moindre détail m’apparaissait comme une révélation. Sur chacune de ses cicatrices je déposais un doux baiser comme pour conjurer le mauvais sort allant de la plus récente lorsque nous nous sommes rencontrés à de plus anciennes sur son épaule droite et sur son torse ferme. Je remontais vers ses lèvres tandis qu’il avait suivi le chemin de ma bouche, me fixant de son regard de braises aux pupilles dilatées. Mes mains avides parcouraient ses bras pour revenir vers son torse et ses abdominaux, fruits de longues séances d’entraînement. 

Il plongea son regard ardent dans le mien avant d’entremêler nos bouches. Keiji entreprit ensuite de caresser mon corps comme je l’avais fait pour lui. Me retirant mon t-shirt, ses mains se baladant sur ma peau frissonnante, me laissant un sentiment délectable. Après m’avoir retiré mon soutien-gorge à carreaux dans un camaïeu de rose, il suçota, mordilla, caressa et me fit ressentir chaque cellule de mon être. J’oscillais entre l’hormone de l’amour et celle de la passion. Je sentais mes veines pulser. Mon cœur battait d’un rythme nouveau que je ne saurais pas décrire précisément ; mais il y avait quelque chose de suave. Dans chaque mouvement primitif, une onde de passion déferlait. Les caresses créaient cette musique envoûtante qui nous faisait danser. J’étais totalement subjuguée. C’était mon bal des débutantes. 

Nos corps réagissaient d’eux-mêmes. Nos mains audacieuses cherchaient à poursuivre leur dessein de nous mettre à nus. Alors que je débouclais sa ceinture pour ensuite m’attaquer à la fermeture éclair de son pantalon, il passait déjà ses doigts puis sa paume sous le tissu de mon short. 

Il me releva pour m’allonger sur le dos, debout, il finit de retirer son pantalon et se débarrassa de son boxer. 

Une nouvelle vibration me submergea, anéantissant toute pensée cohérente qui aurait pu me rester. Il revint à moi pour me retirer avec une lenteur insoutenable mon bas. Couchée au-dessus de moi, sa main descendit tout le long de mon corps, 

Avec ses doigts méticuleux, il jouait une irrésistible mélodie dont chaque note résonnait dans tout mon être. Alors que mes mains empoignèrent ses cheveux, avant de continuer leur ballet sur son dos. Je sentais une nouvelle cicatrice plus longue qui commençait depuis son omoplate pour finir au milieu de son dos. Mes larmes qui s’étaient taries plus tôt me revinrent avec la pensée de tout ce qu’il avait pu traverser. 


Je n’étais pas sa première conquête, au vu de son expertise. 


Apeurée ou réalisant brièvement ce qu’impliquait cet évènement dans ma vie de ma femme, dans un moment de lucidité, je lui avouais que c’était ma première fois. 

Il s’en était douté la fois précédente dans sa salle de bain. Une lueur que je n’avais pas réussi à déchiffrer s’était épanouie dans ses yeux.

― Fais-moi confiance. Agrippe-toi à moi ! me susurra-t-il en rapprochant sa bouche délicate de mon oreille. 

Il emplit ma bouche de la sienne et alors que je m’exécutais, il agit avec précaution. La morsure me saisit, mélange de douleur et de douceur, m’arrachant une lamentation. Dans la magie de l’instant, je fis le vœu intérieur qu’il soit à jamais le seul homme. 

Il continua son tendre mouvement dans l’harmonie sensuelle que nos deux corps venaient de conquérir. Il éveillait par sa sensualité languissante un rugissement qui me fit me mouvoir frénétiquement avant de me cambrer jusqu’à atteindre l’explosion de nos sens. 


Propulsés quelque part hors de ce monde, ensemble. 


La découverte de cet accord charnel entre nous me terrifia, car à l’avenir je voudrais toujours plus de tendresse, de passion et d’intimité partagée.  

― Merci pour ce merveilleux cadeau, Jeanne, chuchota-t-il contre mes lèvres, ses yeux rivés aux miens, me ramenant sur terre. 

Il se retira. Épuisé de notre danse sur une mélodie qui nous appartenait désormais, le sommeil nous enveloppa dans les bras de l’un et de l’autre.  


Keiji venait de faire de moi, une femme. 


C’est à mon réveil au beau milieu de la nuit que je le constatais concrètement sur les draps.

Il ne dormait plus et avait allumé la guirlande lumineuse au-dessus de mon lit. Après un passage à la douche, nous grignotâmes des bâtonnets aux graines de sésame avant de retenter l’expérience charnelle avec en fond, des musiques romantiques qui jouaient. Les premières notes d’une de ces musiques résonnaient, donnant le rythme à notre corps-à-corps au bord de l’érotisme. 

Il était assis au bord du lit. Mes mains encadraient son visage avant de sombrer à nouveau dans la douceur infinie d’une sexualité nouvellement acquise avec un vaste jardin à explorer. Mon être lui avait non seulement été offert, mais également mon cœur. Je réunissais chaque cellule de moi-même pour lui communiquer ma promesse d’être sienne à jamais.  


***


Les semaines, puis les mois passèrent paisiblement depuis que j’avais délicieusement perdu ma vertu dans les bras de cet amant expert. Keiji ne me quittait qu’après le petit déjeuner et venait me retrouver après mes longues journées de travail, pour des nuits où le sommeil avait peu d’importance.

Il éveillait mon corps à de nouvelles sensations et mon cœur l’initiait à la vie ordinaire que je voulais égoïstement pour nous. Nous construisions notre histoire à l’abri des regards pour mieux jouir de l’excitation et nous tenir loin du tumulte. J’appréciais mon bonheur. Pleinement épanouie dans ma nouvelle vie, j’oubliais que le ciel pouvait rapidement s’assombrir.

Tandis que nous filions le parfait amour, mon visage trahissait mon bonheur. Mes collègues m’avaient gentiment charriée au début, sur cette nouvelle, moi. Puis, au fil du temps, certains se mirent à jaser. L’une des assistantes d’un autre service, qui semblait prendre le métro que moi chaque matin, ne m’y voyait plus. Et un jour, elle avait assisté à une scène devenue banale : moi sortant d’un luxueux véhicule tandis qu’un des hommes de Keiji jouait les gardes du corps. Cette soudaine ascension sociale semblait attiser les mauvaises langues. 

Même si je restais égale à moi-même, affectionnant mon travail et donnant le meilleur de mes compétences, les bruits de couloirs allaient bon train, jusqu’aux oreilles de Simon. J’avais alors eu droit à un interrogatoire en bonne et due forme. Penaude, je restais interdite.

Une fois en rentrant du boulot, la mine déconfite, je demandais à mon homme plus de discrétion. J’étais prête à prendre de nouveau les transports en commun pour éviter les regards épinglant mon dos. Mais il avait réussi à me convaincre que je ne devais pas y prêter attention, soulignant que ce n’était pas mon équipe proche qui commérait. Il ajouta que ma sécurité était plus importante. Je m’étais sentie démunie et un peu blessée de le voir minimiser ce que je traversais, mais incapable de changer notre nouveau quotidien au nom de l’amour. 

Un matin pourtant, la routine avait été interrompue. Keiji était parti à l’aube, promettant de venir me prendre après le travail. Comme nous étions samedi, je me préparais à prendre seule mon petit déjeuner avant d’aller au centre de fitness, ce qui ne m’était pas arrivé depuis un moment. Ce fut sur la première étape que tout se corsa, j’eus des haut-le-cœur. Véritable gifle matinale que de réaliser que je n’avais pas eu mes règles depuis un peu plus de deux mois. Je n’avais jamais été régulière, mais en tenant compte des récents évènements, du fait que nous ne nous étions jamais protégés et que la pilule n’avait jamais fait partie de mon quotidien, l’improbable ne l’était soudainement plus. Le ventre noué, je me passais une petite robe d’été pour aller à la pharmacie, vérifiant au passage dans le miroir la présence d’une quelconque rondeur, sans résultat. Tout le long de ce processus il me faudrait trouver une excuse pour que le rapport que feraient ses hommes à Keiji ne me trahissent pas, l’excuse d’une migraine où d’un besoin de vitamines pour toutes nos heures perdues de sommeil, ferait l’affaire.  

Arrivée à destination, je demandais au pharmacien trois tests de grossesse et une boîte de vitamine. Je ne devais pas changer mes habitudes pour ne pas éveiller les soupçons, je suivis donc mon programme avec des efforts moins intensifs. À la sortie du centre de remise en forme, je manquais de me faire renverser par une mobylette tandis que j’étais distraite par mes pensées. Il me faudrait une excuse pour m’isoler le lendemain matin puisque de mes recherches sur internet, les résultats étaient plus probants à jeun. Pour une fois je priais pour que Keiji soit parti avant le petit déjeuner. 

Honnêtement, je devais reconnaître que je redoutais sa réaction face à une telle annonce qui remettrait en cause ce que nous étions devenus, après tout, il ne m’avait jamais dit qu’il ne m’aimait ni qu’il souhaitât m’épouser. Jusqu’ici je composais avec ces évènements qui ne répondaient pas aux valeurs conservatrices inculquées par mes parents. Je refusais également que Keiji puisse se sentir contraint de rester uniquement parce qu’il y aurait désormais entre nous un lien de sang. Peut-être que je me faisais une montagne de rien et que ce n’était qu’une alerte de mon corps mis à l’épreuve, ces derniers temps avec une hygiène de vie bouleversée. Je devrais néanmoins en être certaine pour aviser ensuite. Par ailleurs, il n’avait jamais mentionné le fait de vouloir des enfants. La question d’une paternité indésirée me réduisait à un sentiment nouveau, entre la peur et le souhait farouche de protection. 

Ma journée s’était écoulée sous le signe des hautes températures, caractéristiques de la saison, sans que je ne puisse réellement avaler quoi que ce soit. Plus tard, Keiji avait appelé pour me dire qu’il devrait s’absenter plus longtemps que prévu et ne serait de retour que le lendemain. Mes prières avaient été entendues. Après une nuit agitée, je me réveillais, anxieuse de ce que je pourrais voir se confirmer. 

Sans plus attendre, je sautais du lit et fis le test, une fois, deux fois, trois fois. Et à chaque fois le résultat avait été sans appel. J’étais bel et bien enceinte. Un nœud me serra la gorge tant j’étais désemparée en imaginant les pires scénarios dans lesquels l’issue était identique, Keiji me laisserait. Je me fixais dans le miroir, une main traçant des cercles sur mon ventre. Je tentais de sentir comme pour rendre les choses plus réelles qu’elles ne l’étaient déjà. Mais le test de grossesse était encore abstrait pour moi. Cependant, je devais me ressaisir et contacter le médecin qui m’avait été recommandé par Simon lorsque je m’étais installée à Hong Kong. Il m’avait dit alors de ne pas hésiter à faire appel à lui, sans restriction ni d’horaires ni de jours. C’était comme moi un expatrié d’une quarantaine d’années, installé ici depuis longtemps puisqu’adopté. Il était originaire d’ici et avait souhaité revenir à ses sources. Je lui exposais ma situation brièvement. Il me proposa de passer chez lui pour une consultation, il y aurait tout le matériel nécessaire et ce serait donc aisé. Je prétextais donc devoir me rendre chez un couple de vieux amis, auprès de Sheng. Chez lui, le docteur Benoît m’ausculta dans une pièce attenante au patio de sa maison et aucun signe contradictoire ne semblait mettre en cause la santé du fœtus ni la mienne. Il me prescrivit d’autres examens pour suivre ma grossesse et me recommanda de revoir mon hygiène de vie telle que pratiquer le sport de façon plus modérée, me reposer et éviter les situations stressantes après m’être questionnée sur mes habitudes. 

À mon regard perdu dans le vide, il se doutait bien que je ne l’écoutais plus aussi attentivement et me prêta une oreille. Je ne pouvais lui conter toute mon histoire, mais je décidais que soumis au secret médical, il était la personne idéale à qui m’épancher. Je lui confiais donc ma situation avec le père du bébé. 

― Mon meilleur conseil pour vous, Jeanne, est de tout dire à votre ami. L’avenir auquel vous vous préparez ne peut être le fruit d’une décision unilatérale. Une grossesse est une affaire de couple avant tout. 

S’il avait l’air convaincu qu’avec Keiji, nous formions un couple. Je n’étais pas moins rassurée pour autant. Mais il avait raison. Pour pouvoir avancer, je devrais en discuter avec Keiji et n’ayant jamais su me contenir, je lui avouerais dès son retour qui eut lieu plus tôt que prévu, car il m’attendait à l’extérieur. 

Je pris congé du médecin qui me proposa de m’aider si un jour j’en avais besoin en regardant les voitures noires qui m’attendaient dehors. Le remerciant, je me hâtais de retrouver Keiji dans le véhicule tout-terrain sans l’enthousiasme de nos retrouvailles habituelles. 

― Que fais-tu chez un médecin ? Quelque chose ne va pas ? s’enquit-il visiblement inquiet. 

― C’est un vieil ami comme a dû te le rapporter Sheng. 

― Pourquoi ce mensonge éhonté ? 

― Han, pouvez-vous nous conduire au temple de Tin Hau ? lançais-je. 

Démasquée, c’était inutile de poursuivre. 

― Hors de question, répliqua Keiji. 

― Pourquoi ? 

― Ce n’est pas un lieu sûr pour être vus ensemble. 

Ma stupidité me frappa, comment oublier que nous serions à proximité du quartier de Mong Kok connu pour ses triades. Le mythe était devenu réalité pour moi. D’un autre côté, mon cœur se fissura avec la piètre opinion que je n’étais pas assez bien pour nous afficher comme un couple, même si je savais que le problème était lié à ma sécurité avant tout. 

― Je suis désolée. Je n’avais pas pensé aux implications de ce lieu. Et au temple de Ching Chung Koon ? 

― Pourquoi veux-tu te rendre dans un temple ?

― Parce que ce sont des endroits paisibles généralement et que j’aimerais aussi manger végétarien aujourd’hui.

La viande ou tout autre plat riche me révulsait. Keiji me scrutait toujours inquisiteur, mais acquiesça et nous prîmes la direction des Nouveaux Territoires. 

Un trajet qui me parut bien long dans le silence dans lequel j’étais murée. Je sentais le regard de l’homme, qui était le père du bébé que je portais, me brûler, incandescent et suspicieux. 


***


À l’entrée, les bonsaïs étaient toujours disposés de la même façon que je les connaissais intemporels. Nous longeâmes l’un des bâtiments qui débouchaient sur une sorte de parking, avant de traverser le jardin zen et de nous asseoir à l’ombre d’une pagode au milieu d’un bassin rempli de tortues. 


― Tu vas être papa.


Il me regardait, ahuri. Il se leva d’un bond et se mit à faire les cent pas. Je venais de lâcher une bombe. Le piaillement des oiseaux laissa place au son de l’erhu, du chiba et du bangu qui jouaient au loin, accompagnés d’autres instruments mélodieux et rythmés. L’harmonie de leurs arrangements tranchait nettement avec le tremblement de mes mains moites. J’étais anxieuse, car Keiji n’avait toujours pas prononcé un mot durant les minutes qui avaient suivi ma révélation. Il semblait hors de lui. Je me levais à mon tour, m’approchant des barrières rouge et jaune pour regarder l’eau, toujours concentrée sur la musique traditionnelle chinoise en fond pour ne pas perdre le contrôle de moi-même. J’aurais presque cru sentir comme une odeur d’encens. 

Ce fichu choc culturel ne m’avait jamais autant frappée qu’à cet instant.

― Je ne peux pas et je ne veux pas t’imposer une paternité que tu ne souhaites pas, dis-je l’esprit embrumé, ne tenant plus face à son silence. 

― Comment est-ce arrivé ? Son ton sec semblait plus désemparé que colérique. 

― Je crois qu’un de tes spermatozoïdes a fini par séduire mon ovule alors que nous avons fait l’amour plusieurs fois depuis des semaines. Répondis-je cynique.

― Tu sais très bien ce que je veux dire. 

― Tu étais celui qui utilisait les protections. Mais, il est arrivé que tu n’aies pas de préservatif. Inutile de faire valoir les circonstances. Je n’ai jamais pris la pilule, car je n’en ai jamais vu l’utilité, car je n’ai jamais été régulière et cela n’a pas été un sujet de discussion entre nous. J’étais sotte, irresponsable et loin de m’imaginer tomber enceinte tant je flottais dans notre bonheur. 

Les larmes me piquaient les yeux, mais je devais rester forte. Quant à l’angoisse, elle fit place à une détresse muette dans mon cœur. 


― Je ne pourrais jamais rien apporter de bon à cet enfant. 


Son affirmation sans ambiguïté me blessa. 

― Pourquoi ? Tu m’offres bien de ton temps, de ta personne et du respect. Il n’en exigera pas davantage de toi, m’entendis-je prononcer d’une voix suppliante qui brisa ma fierté. 

― L’insécurité et l’absence. Voilà à quoi il devra faire face, tout comme toi.

Ses mots me faisaient mal, transperçant mon cœur de la pointe de leur lame aiguisée.

― Ton choix est donc fait, tu ne feras pas partie de nos vies ?

― Tu pourras rentrer avec Sheng. Mes dispositions ne changeront pas concernant ta sécurité. J’ai besoin de réfléchir. 

― Réfléchir évidemment ! haussais-je la voix. Puisqu’il n’y a que ta vie qui est impactée, inutile de continuer. Les paroles que tu viens de prononcer, je m’y attendais depuis hier lorsque je l’ai soupçonné et ce matin je les ai craintes quand le médecin m’a confirmé ma grossesse.

― Tu ne le savais pas ? 

― Bien sûr que non ! Que croyais-tu ? Que je t’avais piégé ? Que j’avais eu le temps de m’y faire et de réfléchir ? Eh bien non, l’idiote romantique que je peux être, voulait croire à la lueur d’espoir que j’ai cru voir en toi. Je n’étais pas prête non plus à renoncer à nous ni à ma vie, mais c’est un être sans défense à qui je donnerai le jour et que j’aimerai, avec ou sans toi, car je t’aime. 

Je venais de dire ce que j’avais souhaité taire pour ne pas jouer sur les cordes sensibles de Keiji. C’était plus fort que moi. Je voulais qu’il comprenne que mon choix était de garder notre enfant puisqu’il ne s’agissait pas d’un complot pour le retenir, mais il était bel et bien question d’amour. 

― Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais même pas ce que je ressens. 

― A quoi pensais-tu ? Tu croyais que je me serais offerte à toi sans rien éprouver ? T’ai-je donné des raisons de penser que je n’attendrais jamais rien de toi ? Nous n’avons certes jamais parlé d’engagement, ni envisagé des plans pour le futur, pour autant, pour moi… tout au fond de moi… j’espérais que tu savais que tu serais à jamais le seul homme qui compte. 

Je tournais les talons, pris la direction de la sortie, pour marcher un peu avant de trouver un taxi qui me ramènerait chez moi. Keiji me poursuivit un moment plus tard, me demandant de m’arrêter, me suppliant de pardonner sa maladresse. Lorsqu’il saisit mon bras ballant, il me ramena vers lui, dans la protection de ses bras. Son cœur battait aussi vite que le mien. Ma vie me parut alors comme une scène d’un mélodrame.

― Accorde-moi un peu de temps pour tout arranger, s’il te plaît ? me demanda-t-il toujours en m’enlaçant, tandis que son cœur cognait si fort qu’il trouvait un écho dans ma poitrine. 

― De combien de temps as-tu besoin ? 

Je ne voulais pas mettre ma vie entre parenthèses. Il était temps que je sois fixée. Soit il m’aimait, soit ce n’était pas le cas et je devrais prendre mes dispositions pour mon travail, pour ma vie en tant que mère célibataire et pour l’annoncer à ma famille. Je devrais peut-être même envisager de retourner en France auprès des miens pour traverser cette épreuve avec sérénité et réconfort.

― Quelques jours. 

― C’est bien trop vague. 

― Deux ou trois jours. 

Il tentait de recouvrer son calme olympien. Je ne souhaitais pas qu’il se sente acculer dans cette situation. Et je ne voulais pas non plus qu’il agisse uniquement guidé par son sens du devoir. 

J’opinais de la tête, me détachant de sa chaleur et m’humectant les lèvres, les larmes roulant sur mes joues. Je me sentais ridicule de l’emprise qu’il avait sur moi.  


― Viens. Rentrons, me dit-il en me poussant vers le véhicule noir après avoir séché mes larmes de ses manchettes. 

Sur la banquette arrière, je restais loin de lui, mais il se rapprocha et me prit la main, entremêlant nos doigts. J’étais confuse, certainement autant que lui. Nous étions comme des automates à faire ce qui nous semblait juste, le temps d’y voir plus clair. Pour lui, plus que ses affaires à régler, il devait aussi faire le point sur ses sentiments ; quant à moi je devrais me préparer à toutes les éventualités en évitant d’être trop stressée. Je me sermonnais de ne rien n’attendre de lui. La chute n’en serait que plus douloureuse.  

Il me ramena chez moi, promettant de revenir. La porte qu’il venait de refermer sur lui n’était pas le signe de nos adieux. Je voulais croire en sa parole donnée. S’il n’y avait pas d’amour, je ne pourrais pas continuer ainsi. Je ne pourrais pas non plus priver ce petit être de son père, si c’était là son souhait. Je pensais, une main attendrissante sur mon bas ventre pour me rassurer autant que cette vie qui grandissait en moi. 

Pour me reposer, je mis une compile de musique celtique. Je priais Dieu de m’accorder son pardon pour avoir laissé la chair être faible avec pour résultat d’impliquer un être fragile. J’avais besoin de sa bénédiction pour nous protéger tous les deux, mon enfant et moi-même. La grande ville à l’extérieur me semblait presque étouffante, et trop petite pour contenir une histoire comme la nôtre. Jamais une triade  

n’accepterait de laisser partir l’un des leurs sans conséquence et jamais je ne serais l’une des leurs. Tel était le film qui se déroulait dans ma tête, construit sur des fictions que j’avais lues ou vues. 

Pour passer ce cap et cesser de penser, j’avais besoin de créer. Je sortis donc m’acheter une toile vierge et quelques aquarelles pour peindre. Et à mon retour, je peignais l’amour tel que je le percevais dans l’adversité. Je me souvenais d’une scène du film américain sur le dernier amérindien de sa tribu que j’avais regardé avec Keiji un soir sur la terrasse, lors d’une de nos séances de cinéma privé. Les personnages secondaires d’Uncas et Alice représentaient le visage de l’amour pur entre un amérindien et une jeune fille du monde, qu’il ne connaîtrait jamais avec leur fin à la façon Roméo et Juliette. Affamée, car n’ayant pas mangé de toute la journée, je m’arrêtais. Il me faudrait revenir sur cette peinture pour la terminer et faire quelques retouches, un autre jour. Pour l’heure, des légumes et du tofu me paraissaient être un meilleur réconfort. Après avoir cuisiné, j’étais satisfaite de répondre à cette envie frugale inhabituelle. 


- Fin du chapitre - 


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Chapitre 4

Quatre heures plus tard, l’avion s’était posé, il était vingt-trois heures. 


Han et son équipe avaient fait le voyage avec moi, ils m’aidèrent à récupérer mes valises et je les suivis sans me poser de question avec un naturel déconcertant. À la sortie, le véhicule tout-terrain noir suivi d’une berline m’attendait. On rangea les valises dans le véhicule et m’ouvrit la porte arrière. Devant la porte j’avais fermé les paupières, inspirant profondément. Il était là. Je me pinçais les lèvres et rouvris les yeux pour le découvrir en train de me regarder avec un amusement non dissimulé pour le spectacle que je venais de lui offrir, rougissante.   

Je montais dans le véhicule qui démarra. Je me mis à fixer les courbes masculines de son visage noble, m’attardant sur chaque détail ; une mâchoire carrée, des lèvres fines et sévères, un nez aquilin, des sourcils épais durcissant ses yeux en amande noirs étincelants et un front droit. Il avait un piercing à chaque oreille, un diamant discret, ses cheveux bruns avaient été coupés courts en un dégradé progressif aux nuances réglisses. La dernière fois que je l’avais vu, il les portait en un  

chignon strict qui lui donnait un air de barman. Sa nouvelle coiffure, en revanche, accentuait son côté mauvais garçon et lui donnait un regard encore plus sauvage. Il paraissait pourtant plus soigné maintenant qu’il était rasé de près. Il sentait d’ailleurs l’après-rasage et il émanait de lui une odeur d’encens japonais et de menthe. Ce qui me fit voyager au pays du soleil levant. Il avait troqué son allure de samouraï pour incarner un ninja ; ce qui lui allait parfaitement. Je ne voulais pas qu’il disparaisse à nouveau et plongea dans son regard, véritable brasier de son âme. À ses pupilles dilatées, je constatais que l’attirance était commune. 

Par derrière lui, les lumières de la ville défilaient à toute vitesse, jusqu’à être parsemées à mesure des virages pris par la jeep. Nous retournions au Peak.

― Peut-on s’arrêter pour admirer la vue de nuit ? 


Il s’agissait plus d’un ordre que d’une demande et aussitôt par sa main posée sur l’épaule du chauffeur, ce dernier s’exécuta. Il vint m’ouvrir la porte et m’aida à sortir du véhicule. Je détournais mon regard de lui, souriante, ouvrant les bras et emplissant mes poumons, menton relevé. Je rouvrais mes yeux sur la ville bercée de lumière plus bas. Jamais la baie de Hong Kong ne m’avait paru aussi magique qu’en cet instant. Je tournoyais sur moi-même heureuse, m’arrêtant brusquement vers lui pour lui donner l’opportunité de s’approcher de moi me donnant ce baiser pour lequel je me consumais. 

Il s’avança et à chacun de ses pas, mon cœur sautait un battement, une musique de hard rock épique raisonnant dans ma tête. Il approcha son visage à quelques millimètres du mien, son souffle chaud sur mes lèvres. Je fermais les yeux, me tenais sur un pied tandis que le talon de l’autre pointait vers le ciel. Une main sur son torse l’autre sur sa nuque, alors que les siennes me soutenaient par la taille. Ses lèvres prirent un temps infini à rencontrer les miennes dans une explosion de sensation. Le vent s’était levé et tout tournoyait autour de nous, le sol se dérobait, tandis qu’à l’intérieur de moi j’avais l’impression de traverser les nuages en direction de la Voie lactée. Je me sentais pousser des ailes à mesure que son baiser devenait avide. Nos langues s’entremêlaient avec frénésie. 

Il me laissa à bout de souffle, comme un félin abandonne sa proie, mais restant à l’affut puis nous retournâmes au véhicule. Je revivais la scène un mois et demi plus tôt. Le contexte était différent cette fois, je ne courrais pas d’autre danger que celui de m’offrir entière à lui. 

En entrant dans la demeure, rien n’avait changé. Il congédia ses hommes, Ashanti ne vint pas non plus nous accueillir. Il me prit la main et nous montâmes les escaliers lentement pour nous diriger tout au bout du couloir que j’avais emprunté la première fois. Un sentiment de déjà vu avec une pointe de nouveauté, Keiji était près de moi et je ne savais pas ce que j’allais trouver derrière cette porte qu’il finit par ouvrir. 


Sa chambre avait quelque chose de mordant. À gauche, il y avait un poêle à bois noir relevant le mûr gris pâle. À droite il y avait un mur central encadré par deux portes traditionnelles japonaises. Au centre de la pièce se trouvait le lit avec une parure à motif représentant une superposition de carrés aux lignes rouges et noires sur un fond blanc. Le lit était bas, posé sur un tapis rouge écarlate en velours et faisait face à de hautes baies vitrées aux rideaux gris avec comme une lune qui s’éclatait en corbeaux prenant leur envol. De part et d’autre de la tête de lit habillé d’une mousse veloutée et molletonnée noire se trouvaient deux chevets courbés comme les portes Tori de Myjajima devant les temples shintoïstes. Derrière le lit se trouvait un luxueux dressing éclairé par des spots au sol tandis qu’au centre de la pièce huit lanternes suspendues à des hauteurs différentes donnaient un cachet zen à cet ensemble très masculin. Il ouvrit les deux portes japonaises à côté du mur aux pierres cendrées derrière lequel se trouvait une baignoire ronde d’un blanc immaculé au-dessus de laquelle un lustre à bougies de couleur crème et rouge descendait du haut plafond blanc où étaient alignées des poutres de cèdre. La baignoire devant laquelle était positionné un tapis anthracite se reflétait dans un grand miroir sur toute la hauteur d’un mur d’au moins trois mètres cinquante. Le miroir était encadré par deux vasques de pierre posées sur un rangement en cèdre également. Au fond de la pièce les toilettes été séparées par une cloison sur laquelle était dessinée la même lune éclatée en corbeaux et à son opposé une fenêtre donnait sur le jardin on y voyait la cime des palmiers entourés d’un halo de lumière projetée par la ville au loin. Le sol de la chambre et de la salle de bain était d’un parquet gris clair. 

― L’antre de Dracula ? dis-je moqueuse lorsqu’il déposa un baiser sur mon cou à l’endroit même où se trouvait la jugulaire.

― Je nous fais couler un bain ? 


Mes yeux s’écarquillèrent et mes joues s’empourprèrent à cette question qui promettait de partager un vrai moment d’intimité. Il saisit une commande et les enceintes que je n’avais pas aperçues, suspendues aux quatre coins, se mirent à diffuser de la musique à mesure qu’un téléviseur de marque coréenne descendait du plafond sur le rythme des premières notes d’une chanson célèbre d’un hawaïen aux multiples talents. 

Keiji alluma une à une les bougies tandis que l’eau remplissait la baignoire. C’est sur les notes de Here repris par une jeune artiste prodige que sans pudeur je m’étais dévêtue face au miroir, enlevant mes chaussures à talons compensés roses, puis ma veste de la même couleur, le mini short ballon sable et mon bustier blanc. Sous son regard approbateur, j’hésitais honteuse de poursuivre. C’était idiot, je m’étais exhibée un nombre incalculable de fois en bikini sur les plages. Il retira ses chaussures, sa chemise, défit sa ceinture et s’approcha. 

― Tu es superbe, me susurra-t-il à l’oreille, son torse brûlant dans mon dos.

C’était la première fois qu’il me tutoyait. 

Les baisers qu’il laissait de mon oreille jusqu’à mon épaule traçaient une ligne de feu alors qu’il m’enlevait mon soutien-gorge blanc. Je me retrouvais bientôt avec le haut de mon corps nu. Notre reflet dans le miroir était si sensuel que j’en eus le souffle coupé. Sur une chanson envoûtante de ma chanteuse new-yorkaise préférée, il entreprit d’enlever mon boxer assorti où se croisait une ficelle qui dorait derrière. Me retournant face à lui, il poursuivit le trajet de baisers de mon cou à mon ventre sans mettre de côté aucun endroit jusqu’à ce qu’il soit à accroupi devant moi, ses lèvres sur mon abdomen. La même onde incandescente me brûlait là où ses lèvres avaient fait leur route. Ses mains remontaient du galbe de mes mollets, lentement vers mes cuisses pour finir leur course sur mes fesses d’où il fit descendre la dernière pièce de tissu qui me restait. J’étais nue. J’enjambais puis m’assis dans la baignoire, l’eau m’arrivant jusqu’aux épaules admirant à mon tour le spectacle lorsqu’il retira son pantalon, suivi de son boxer. Fébrile, face au bas du v dessiné par ses abdos.

La baignoire était suffisamment grande et nous nous faisions face, nos mains parcourant nos corps à la découverte de l’un et l’autre. Il m’attira à lui, me retournant de sorte que mon dos soit posé contre ses pectoraux de pierre. Nos jambes emmêlées, il me caressait, délectable sensation. 

― Je ne suis pas prête à aller plus loin. 

Je venais de réaliser que cette phrase aurait pu rompre la magie bien que chaque acte ait laissé croire le contraire ; mais il me fallait davantage pour m’offrir à lui. Je voulais qu’il m’aime. Or, le moment n’était pas encore venu pour lui de prononcer ces mots. Mes amis m’avaient souvent fait remarquer que j’étais une vierge effarouchée. Une réflexion qui venait de prendre tout son sens, en cet instant.  

― Je saurai être patient, mais n’oublie pas que je suis un homme. Et tu ne me laisses pas insensible. 

― J’ai peur.

― De moi ? 

― Non. Enfin, pas comme tu l’entends. Ce qui m’effraie c’est tout le danger que tu représentes pour mon cœur. Il est trop tôt pour nous. L’attirance n’est pas garante des sentiments. 

― L’amour pour toi est indissociable d’une relation intime c’est ce que tu essaies de me dire ? 

― Oui. 

― Je ne peux pas te dire qu’il s’agit d’amour entre nous. Tu m’as tiré d’une mauvaise situation et ça t’a mise en danger. Je sais que pour cela je ne me le pardonnerai jamais. Impliquer une inconnue là-dedans était une erreur. 

― Alors, pourquoi suis-je ici ce soir, si je ne suis qu’une erreur pour toi ? lançais-je acerbe face à cette déclaration. 

― Ce n’est pas toi l’erreur, mais le danger que tu risques en étant à mes côtés. Tu es là parce que tu m’as redonné espoir. 

― J’ai du mal… 

― Ces beaux yeux bleus remplis de compassion semblent vouloir m’offrir le monde. Je veux les protéger de la douleur, de la peur et de la colère même si jusqu’ici j’ai échoué lamentablement. J’ignore si je serai à la hauteur de ce que tu pourrais attendre de moi, me coupa-t-il. 

― Nous devrions peut-être faire les choses dans l’ordre. 

― C’est-à-dire ? 

― Nous fréquenter comme deux adultes, avoir des rendez-vous au cinéma, au restaurant et toutes ces choses que les personnes normales à la recherche de compatibilité font pour apprendre à se connaître et s’aimer peut-être ? 

― Le monde strict, dans lequel je vis, ne me permet pas de connaître ces moments simples, comme tu me le suggères. 

― Tu fais partie d’une triade ? risquais-je à demander à brûle-pourpoint.  

― Je ne dirai pas qu’il s’agit d’une triade. J’emploierais plutôt les termes de respect des traditions. Ma famille a participé à l’histoire de Hong Kong et en a tiré parti, d’abord au dix-septième siècle, alors que nous souhaitions réhabiliter la dynastie des Ming. Ensuite, notre fortune s’est développée pour nos intérêts, durant l’impérialisme japonais. Depuis des générations, nous entretenons des liens privilégiés avec ces traditions. Néanmoins, je suis conscient de la place que prennent ces organisations au sein des grandes villes en Asie. Le régime de Pékin, quant à lui, a toléré notre présence monétisant notre intervention dans le milieu du jeu et autres activités, afin de blanchir l’argent à sa place via notre réseau. L’activité d’import-export de ma famille n’est qu’un pion sur l’échiquier politique local et même régional. 

― C’est donc cela ton secret, ajoutais-je d’une voix blanche même si je ne voulais pas céder à la panique en considérant ce qu’une telle révélation impliquait.

― Toujours pas envie de me fuir ? 

― Tu as été blessé dans un combat des bas-fonds ? m’enquis-je, pour tenter de trouver une excuse et fuir, peut-être.

― Non, les combats ne font plus partie de notre quotidien, vu notre statut. Mon père, seul fils légitime qu’a eu mon grand-père, a hérité de son empire. Malheureusement, j’ai trois oncles et une tante ayant pour mères, ce qu’on pourrait comparer à des concubines et l’un d’entre eux plus âgé n’admet pas l’état actuel des choses. 

― Est-ce lui qui t’a blessé ? Au lieu d’être effrayée, je continuais de l’interroger, fascinée. 

― Je n’en ai pas la preuve. Nous supposons que l’ordre vient de lui. Une sorte de mise en garde. 

― Contre quoi ? 

Décidément, quelque chose clochait chez moi pour boire ses aveux. J’étais curieuse d’en apprendre davantage sur lui. 

― Tu poses trop de questions. Je t’ai promis des réponses, me concernant tu les as.

― Et pour mon studio c’est aussi lui le commanditaire ? 

― Je te l’ai dit, nous n’avons pas de lien direct pouvant l’accuser. Tu n’as pas l’intention de cesser ton inquisition, n’est-ce pas ? Et qu’en penses-tu ?

Je voyais bien qu’il me cachait encore certains éléments. Mais pour l’heure je devais avaler la pilule. Le plus déconcertant était que je n’étais toujours pas encline à prendre mes jambes à mon cou. 

― Est-ce comme dans les films ? Vous achetez la police et toutes ces choses ? demandais-je, avide, attendant encore une quelconque réaction de mon instinct de survie.

― Notre activité principale est propre, mais les échanges que nous avons dans la zone nécessitent parfois d’emprunter d’autres voies souvent illégales. 

― Tu veux me dire que vous êtes les gentils de l’histoire ? Et que vous ne tuez jamais personne ? 

― Il n’existe ni gentils ni méchants, seulement une ligne de conduite qui dicte à chacun ses devoirs. Nous sommes tous animés de convictions pour lesquelles nous trouvons juste de lutter. 

À la façon dont il avait éludé mes questions, je devinais sans mal les réponses. 

L’eau était devenue froide et même son corps chaud ne put m’empêcher de claquer des dents. Le son émis lui arracha un rire presque enfantin à des lieues de qu’il était réellement, un homme viril et dangereux, dont les aveux auraient dû me pousser à partir sans demander mon reste.  

― Je crois qu’il est temps de sortir et de vous réchauffer, Mademoiselle Blanchet. 

Nous quittâmes le bain et il me souleva une fois sécher pour me poser délicatement sur son lit. Sous les draps, nous étions toujours nus. Je lui faisais face, ne détachant pas mon regard du sien pour le sonder sans parvenir à déchiffrer ses émotions. Ses yeux avaient gardé leur flamme. Il irradiait la chaleur et je retrouvais très vite une meilleure température.  

― Pourquoi es-tu intervenue pour m’aider la première fois qu’on s’est rencontré ? 

― Tu m’avais bousculé en renversant mon Mocha sur ma veste. Je voulais que tu me rembourses les frais du pressing. 

― Tu ne plaisantais pas à ce sujet !

― C’est une veste symbolique. Elle me porte chance. Ce jour-là, j’avais ma première négociation importante. Je voulais mettre tous les atouts de mon côté et tu venais de rompre le charme. 

― Ta veste est donc responsable de notre rencontre. Malheureusement, je ne peux pas te garantir que ce soit une chance pour nous. 

― Tu ne prends aucun risque puisque tu n’es que de passage dans ma vie. Parce que tu sembles convaincu de ne pouvoir m’apporter un bonheur stable. 

― Mais tu as choisi de rester malgré tout ?

― Je suis optimiste de nature, je crois aux histoires qui finissent bien. Si je devais incarner un personnage, je choisirais d’être Belle. 

― Ce qui fait de moi la Bête, si je comprends bien ?

― Ce rôle te sied à merveille. Au fond de toi tu n’es qu’un homme et ce que tu m’as dit dans le bain plus tôt dévoile de toi bien plus que tu ne l’imagines sur ton sens des valeurs. 

― Mais cela te causera du mal. 

― Nous n’y sommes pas encore. Devrions-nous avoir des rendez-vous chez moi ? Je pourrais aménager ma terrasse en restaurant, ou encore en cinéma ? Puisque tu ne peux pas faire comme tout le monde, je t’apporterai l’ordinaire. Qu’en penses-tu ? Tentais-je de le distraire des autres difficultés auxquelles nous serions amenés à faire face beaucoup trop vite selon moi ? 

― C’est ce qu’offrit Belle à la Bête, une vie ordinaire dont il se croyait privé. Je serai certainement toujours en retard. 

― Je m’adapterai. 

― Pas d’une heure seulement… parfois de quelques jours. 

― Je m’en accommoderais si tu me promets de rester en vie. 

Cette phrase forma une boule dans ma gorge. Je devais croire en un avenir entre nous sans jamais pouvoir le changer, car il avait des devoirs. Je serai reléguée au second plan de sa vie. Et je n’aurais aucune garantie de le voir revenir vers moi à chaque fois. Un vrai dilemme auquel je voulais volontairement ne pas y penser déjà. 

Pour me réconforter, je tentais de me rappeler que les hommes en Asie pouvaient parfois s’absenter quelque temps d’une relation pour régler leurs affaires, sans que cela ait un impact. Vivre éloigné, parfois même à l’autre bout du monde, était monnaie courante. 

Le sommeil alourdissait mes paupières et je sombrais dans un sommeil profond. Je m’endormis l’âme déchirée, mais m’assoupir dans le lit d’un homme pour la première fois était une expérience délicieusement étrange.  

Plus tard, on cogna à la porte. Je sentis Keiji retirer délicatement ma tête sur son bras et quitter la pièce après quelques froissements de tissus. J’entrouvris les yeux. La lumière filtrait les rideaux occultant de part et d’autre. Au moment où je récupérais mon téléphone qui affichait sept heures trente, il se mit à sonner. 

― Simon ? 

― Bonjour, Jeanne, je te réveille ? 

― Bonjour… Euh, disons juste que tu es tombé du lit. 

― Je sais que généralement tu es une lève-tôt et comme ton vol arrivait tard dans la nuit hier, j’ai préféré prendre de tes nouvelles ce matin. 

― Je vois. Merci. 

― Ton vol s’est bien passé ? 

― Oui, très bien merci. 

― Les Sud-Coréens m’ont envoyé un compte rendu de ton travail. Ils sont satisfaits.

― Vraiment ? 

― Oui. Mei Lin et moi souhaiterions te convier pour le déjeuner aujourd’hui qu’en penses-tu ?  

― Euh… c’est vraiment gentil…

Au moment où je m’apprêtais à refuser, Keiji revint dans la chambre pour me préciser qu’il serait absent toute la journée après avoir déposé un baiser sur mon front. 

― Jeanne ? 

― Oui d’accord, à quelle heure dois-je arriver ? 

― Disons treize heures. 

― C’est parfait. 

― À plus tard ! Merci, Simon. 

Je n’avais pas eu le temps de parler à Keiji. Il avait déjà quitté la pièce au moment où je raccrochais. 

Sans mes effets personnels, je me dirigeais vers son dressing, pris une de ses chemises et un short de sport dans lequel je flottais dans l’espoir de pouvoir quitter sa chambre à la recherche de ma valise. Sur la pointe des pieds je descendis. 

Ashanti m’aperçut, l’air désolé pour moi comme on l’est pour une fille qui s’est faite bernée par un homme. Je savais néanmoins que ma vertu était encore sauve et lui souris forte de cette information qu’elle n’avait pas. 

― Monsieur ne prendra pas son petit déjeuner ici. Il m’a demandé de laisser la table dressée pour vous. 

― Merci, Ashanti. 

Tandis que je m’installais prête à lui demander où était ma valise, Han entra dans la pièce, pas le moins surpris du monde que je porte les vêtements de son patron. Au fond de moi, je me demandais combien de femmes il avait trouvé à ma place au petit matin. Je dus lui paraître bien transparente, car il afficha une mine, l’air de dire qu’elles n’avaient pas été si nombreuses à avoir défilé ici. 

― Mademoiselle, j’ai monté vos affaires dans la chambre de Monsieur. Il souhaite vous faire savoir que je me tiens à votre disposition. Il lui semble que vous devez vous absenter ce midi. 

― Merci, Han, dis-je, ennuyée. 

Je n’avais pas l’habitude d’être servie et encore moins d’avoir un chauffeur qui ferait aussi office de garde du corps. Là encore, il ne manqua rien de ma moue. 

Prête à démarrer une nouvelle aventure, j’engloutissais mon petit déjeuner, avant de remonter prendre une douche. Vêtue d’une jupe midi pourpre, d’un débardeur rose à fleurs et d’un châle ; j’avais chaussé mes nu-pieds, avant de redescendre avec ma valise. 

Han vint m’aider à la récupérer, me mena au garage qui me laissa sans voix. Il y avait un emplacement vide, certainement celui du véhicule tout-terrain, tandis que d’autres véhicules tous plus luxueux les uns que les autres étaient stationnés ; une vieille voiture américaine noire avec un liseré rouge sur la porte, une sportive italienne, un tout-terrain, allemand, une berline japonaise et une voiture de collection des années quarante, toutes noires sauf la dernière qui était blanche. 

― Laquelle souhaitait vous prendre Mademoiselle ? 

Cette question me prit de court et je choisis le véhicule tout-terrain allemand. J’avais un faible pour les véhicules tout-terrain, bien que les autres voitures eussent du caractère et celle de collection, invitait aux balades. J’imaginais sans complexe arpenter les rues avec l’une d’elles, pour un rodéo sauvage à l’instar des films d’action. Quant à la seconde, elle me renvoyait l’image d’une robe blanche cérémonieuse, ce qui me fit tressaillir. 


***


Nous fîmes un détour chez moi où je pris le temps de sortir mes affaires et de les ranger, avant de consulter quelques mails et de téléphoner à mes parents. J’avais ma mère au bout du fil à minima tous les deux jours. Elle me trouva une voix plus enjouée que de coutume se doutant que je lui dissimulais des choses. Je réussis néanmoins à noyer le poisson, inutile de l’inquiéter ou de lui donner de faux espoirs. Si la présence d’un homme était appréciée, sa situation demeurerait redoutable, tuant dans l’œuf toute relation avant éclosion.  

Depuis la première fois où j’étais partie seule à l’étranger, nous avions convenu que si je ne lui donnais pas de mes nouvelles pendant une semaine, elle pourrait alors s’inquiéter et contacter la liste de numéros que j’avais préparés à chacun de mes départs. J’étais convaincue au fond de moi que jamais elle n’aurait à l’utiliser, et ce malgré mes mésaventures dans chaque pays où j’étais allée. Là encore, j’avais confiance en Keiji et il ne serait pas nécessaire qu’elle ait un jour recours à cette liste. En revanche, il était encore trop tôt pour tout lui raconter. D’ailleurs, le lui avouerais-je plus tard ? 

Keiji, en ce sens, exerçait déjà une influence sur moi. Jamais je n’aurais agi avec elle comme je le faisais actuellement. Elle était ma première meilleure amie. 

Elle m’avait soutenu alors que mon père souhaitait que je devienne architecte comme eux. Plus encore, elle avait mis de côté sa carrière pour s’occuper de ses deux filles en véritable mère dévouée. Elle assistait à chacune des étapes de nos vies du simple cours de danse à nous attendre dans la voiture pendant des heures, tandis que nous passions nos examens. Je ne pouvais que lui être reconnaissante et je me trouvais moche à agir ainsi. Pourtant, il me fallait encore la préserver sinon elle serait capable de venir me chercher pour me faire renoncer à Keiji. Ce qui n’était pas envisageable. J’étais prise entre le marteau et l’enclume. 

À l’heure convenue, je me présentais chez Simon pour le déjeuner après avoir discuté plus d’une heure avec ma mère et salué rapidement mon père. Nos rapports ayant toujours été conflictuels.  

Je ne m’étais pas attendue à ce que mon hôte convie d’autres personnes. Nous étions une petite quinzaine. Il avait préparé un barbecue dans le jardin de sa villa. Téméraire, si j’étais à l’aise avec le monde de la nuit, je l’étais moins à des occasions comme celles-là. Ce que je n’avais jamais pu comprendre d’ailleurs, étant une personne plutôt sociable. 

Mei Lin s’approcha de moi, deux cocktails de jus à la main et m’en tendit un tout sourire. 

― Jeanne, tout va bien ? 

― Oui, Mei Lin. Merci pour l’invitation. 

― Avec Simon, nous avons pensé que cela te ferait du bien même si ces gens te sont inconnus. Si tu me le permets, je pourrais y remédier ? 

― Pourquoi pas ? 

Elle me prit par le bras et me conduisit vers un groupe de jeunes gens de mon âge, trois jeunes femmes et deux hommes. Distraite, je ne retins pas leur nom, ce qui ne m’arrivait que très rarement. Je prêtais une oreille peu attentive à leur discussion. Je savais reconnaître de loin ceux avec qui je ne pourrais jamais avoir d’affinité. Et ils faisaient partie de ce groupe. Non pas qu’ils n’étaient pas intéressants, mais ils transpiraient l’orgueil d’être expatriés et de jouir de ce statut en dénigrant les locaux tout en profitant des charmes quand cela leur convenait. Ils avaient été conviés par Simon plus pour leur carte de visite que pour leur personnalité, imbus d’eux-mêmes. 

Mei Lin leur précisa que je revenais de Séoul tandis que Simon, qui venait de nous rejoindre, fit mon éloge. Soudain leur intérêt fut piqué au vif. Ils me posèrent plein de questions sur mon voyage, les incontournables de Séoul où ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’aller. Je ne tarissais pas sur le sujet ayant joué la guide touristique pour des Français à quelques reprises lorsque j’y étais étudiante.  

Simon s’excusa ensuite de m’enlever à ce petit groupe, pour me présenter à un homme d’une quarantaine d’années accompagné de sa femme, tous deux originaires d’Inde, me semblait-il. 

― Mademoiselle Blanchet, ravie de faire enfin votre connaissance, me dit l’homme.

Je fus surprise qu’il me connaisse et tournai la tête vers Simon, tout sourire. 

― Jeanne, je te présente Monsieur et Madame Pravesh. Eux aussi travaillent dans le prêt-à-porter et souhaitent diversifier leur activité en ouvrant à Hong Kong et en Asie du Sud-Est des franchises de cosmétique sud-coréen dont raffole la jeune population. De plus, ils veulent aussi lancer une nouvelle enseigne qui serait complémentaire à la nôtre, à Séoul. Je pense que tes compétences pourraient nous être profitables, car ce serait une affaire conjointe avec notre groupe. Qu’en penses-tu ?  

― Je pense que c’est une proposition à étudier et j’ai bien en tête quelques idées qu’on pourrait creuser pour prospecter des partenaires potentiels. 

La discussion tourna essentiellement autour du projet des zones de chalandise où l’implantation serait fructueuse. Nous déjeunâmes ensemble et convinrent d’un rendez-vous mardi pour aborder davantage les détails. Le couple Pravesh était aussi charmant que chevronné en affaires. Je me liais rapidement d’amitié avec eux. Et Madame Pravesh me convia à venir dîner prochainement.

L’après-midi s’écoula trop vite, riche de projets qu’il me tardait de mener. J’aimais la nouveauté et j’allais en avoir. Je réalisais combien j’étais chanceuse de travailler dans cet environnement multiculturel pour un salaire plus que confortable et des avantages que je n’aurais jamais eus si j’étais restée au pays. 


***


Les invités commençaient à partir. Mei Lin avait préparé des boîtes avec des restes pour chacun. Je fus la dernière à quitter les lieux. Han m’attendait toujours. Je me sentais désolée pour lui, mais il avait refusé de désobéir aux ordres que Keiji lui avait donnés. Simon, s’il était intrigué, ne fit aucune remarque. Il me précisa que mis à part notre réunion de mardi, je pouvais prendre quelques jours pour me reposer, puisque j’avais bien travaillé et que le train allait de nouveau être en marche à grande vitesse avec ces nouveaux projets. 

Han me ramena chez moi où je me sentis terriblement seule pour une fois. Keiji ne m’avait pas donné de ses nouvelles. Je sortis donc sur la terrasse après avoir enfilé une tenue plus décontractée. Mon casque sur les oreilles, je me mis à danser sur une compile de reggaeton de mes chanteurs latinos en tête des hits du moment. Comme souvent il m’arrivait de le faire pour évacuer mes états d’âme. 

Je me rappelais qu’à Pékin, ne trouvant pas le sommeil, je descendais sous le kiosque au milieu des immeubles privés où j’avais vécu, pour me mettre à danser qu’il soit vingt-trois heures ou deux heures du matin. Les agents de sécurité et quelques personnes du voisinage avaient été curieux. D’autant plus qu’avec mes deux amis, nous étions les seuls étrangers de la résidence dont la population était cent fois supérieure à celle de Durtol, le quartier dont j’étais originaire. 

Je ne vis pas les heures défiler. Ce n’est qu’à la nuit tombée que je rentrais pour grignoter avant de me préparer à me mettre au lit, devant la célèbre saga de vampires et loups-garous, pour la énième fois, bien que je trouvasse le personnage de Bella matérialiste et superficielle. Je n’avais jamais pu me décider entre Jacob et Edward alors même que Jasper méritait qu’on s’intéresse à lui.

Mon pot de crème glacé aux fruits rouges d’une main, j’étais captivée et je sursautais lorsque ma sonnette se mit à retentir. Je fus heureuse de découvrir Keiji sur la vidéo. Je lui ouvris avec empressement, sans rien changer à ma tenue ni à mon activité. Je voulais rester naturelle, pour équilibrer sa vie avec la banalité qui lui faisait tant défaut. En lui ouvrant la porte, je ne voulais pas lui paraître excitée de le voir, mais c’était plus fort que moi. Je lui sautais dessus, enroulant mes jambes autour de sa taille et mes bras autour de son cou. Il me soutenait par les fesses et je l’accueillais par un baiser. Il m’était revenu vivant et sans égratignure, c’était la seule chose qui m’importait. 

― Comment s’est passée ta journée ? 

― Je m’étonne que Han ne t’ait pas encore fait un rapport, répondis-je pour le taquiner.

― Son rapport ne me détaille pas ce que tu dis, penses ou ressens. Même si je pourrais aisément remédier au premier. 

― Tu n’oserais pas me mettre sur écoute avec une puce intégrée tout de même ? lui dis-je en prenant un air offusqué. 

Il garda le silence. Vraisemblablement l’idée lui avait sérieusement déjà traversé l’esprit, ce qui me fit l’effet d’une douche froide ; mais de courte durée tant j’étais heureuse de sa présence. 

― Tu m’as parlé d’un cinéma maison. 

― Tu me prends de court, mais je peux improviser. Contente qu’il veuille passer du temps ensemble. 

Je me mis en action, sortant mon ordinateur portable, le rétroprojecteur et un drap blanc. Je fis plusieurs allers-retours avec des coussins et un tapis de pique-nique, de mon studio vers la terrasse et fini par ramener un bol de pop-corn passé aux micro-ondes. Nous nous installâmes sous la voûte de la nuit pour une projection privée en plein air. 

― Quel genre de film as-tu choisi ? 

― Une romance fantastique d’origine coréenne.

Confortablement lovée contre lui, je vivais ce moment volé, comme le premier privilège d’une longue série. Le décor en lui-même avait quelque chose de romantique, et l’imprévisibilité ajoutait au trait chimérique de cet instant. Il était la Bête à apprivoiser par des compromis, ce qui me convenait.  

Je versais une larme aux scènes intenses tandis qu’il restait impassible. Il me faudrait tenter de connaître ses goûts en matière de septième art. Je me promis donc d’essayer tous les styles. Ce qui me permettrait aussi de passer d’agréables moments avec lui. 

À la fin du film, il m’aida à tout ranger. Je doute qu’il fût ému par l’atmosphère improvisée et montée de toute pièce, mais il me surprit par un baiser. 

― Merci. C’était intéressant.

― Je t’en prie. Qu’entends-tu par « intéressant » ? le questionnais-je en haussant un sourcil. 

― C’est la première fois que je m’essaie à ce genre d’expérience.  

― Je préfère le terme « rendez-vous » ou quelque chose qui s’affilie au registre sentimental. Tu voudrais bien qu’on essaie à nouveau ? Je te promets de changer de registre la prochaine fois. 

Il céda davantage pour la moue que j’affichais que la perspective de ce que je pourrais projeter la prochaine fois. Soudain, je réalisais que tôt ou tard ces rendez-vous galants ne lui suffiraient plus. Le feu me vint alors aux joues tandis qu’il m’observait comme s’il lisait à travers moi. 

― Tes expressions sont mignonnes.

Sa remarque me désarçonna et redonna de la légèreté à cette soirée. Je me contentais de lui sourire bêtement.

Plus tard dans la nuit, il se réveilla pour quitter discrètement le cocon de mon lit, après avoir reçu un message. Je me levais pour le retenir par le poignet. Il me regarda avec attendrissement et je me mis à pleurer. Aussitôt, il revint près de moi et me prit dans ses bras pour me réconforter. 

― Je ne voulais pas pleurer…

― Je sais. 

― C’est idiot de ma part. 

― Tu m’acceptes moi, mais pas le reste. 

― Non ! Ça n’a rien à voir ! C’est juste la peur… parce que j’ignore si tu seras en danger et ça m’angoisse. 

― Tu m’as demandé de te promettre de toujours te revenir. Je te le promets. Alors, cesse de pleurer. 

Il sécha mes larmes, déposa un tendre baiser sur mes lèvres en passant une main sur mes cheveux et s’en alla. Je me retrouvais désemparée face à ce sentiment de solitude, totalement nouveau pour moi. 

Je m’entichais de lui trop rapidement et de manière beaucoup trop intense, exposant mon cœur à des douleurs vives que je découvrais. Je pensais pouvoir m’accommoder de la situation, vivre à son rythme, mais force m’était de constater qu’au fond j’espérais mener avec lui une vie paisible. Je souhaitais de tout mon être, nous donner la chance que nous méritions pour que cela fonctionne entre nous sur le long terme. Cependant, je devrais encore fournir des efforts. Sans notice d’emploi. Je détestais avancer à tâtons.   


***


Keiji n’était pas réapparu depuis. J’avais redoublé de concentration à mon rendez-vous, avec Monsieur et Madame Pravesh. Fort heureusement pour moi, ces deux heures intensives se soldèrent par un premier accord de confidentialité sur le partenariat à venir. Quant à mon état émotionnel, il n’avait pas influencé mon professionnalisme. Je devais d’ailleurs féliciter notre assistante pour son travail qui avait gagné en compétence. Je proposais alors à Lullaby de prendre un café en fin d’après-midi. Cette discussion me permit d’avoir une discussion de filles avec cette future maman et de rire de toutes les petites choses du quotidien. Grâce à elle, j’avais pu m’évader et détourner mon attention de mes pensées obsédantes pour Keiji. 

Après cette oasis d’échange féminin, je m’étais baladée dans le centre commercial où se trouvaient nos bureaux. Je me posais près de la patinoire happée par le rire des enfants qui s’y amusaient sous l’œil vigilant de leurs parents. Avec un pincement au cœur, le constat était sans appel. Je ne pourrais jamais pratiquer cette activité avec Keiji dans un lieu comme celui-ci. Il avait été clair sur le sujet. 

Ses silences, le fait qu’il disparaisse au beau milieu de la nuit et mes angoisses le concernant me perturbait. Mais il y avait aussi l’attraction qui s’était muée en besoin de profiter de chaque instant qu’il pouvait m’offrir ; or désormais je désirais davantage. 

Remuant toutes ces pensées, tandis que je rentrais chez moi en métro, je ne m’étais pas rendu compte qu’on me suivait. Ayant déjà vécu ce type d’expérience, il y avait une différence notable cette fois-ci : le contexte. Je poursuivis donc mon trajet l’air de rien, empruntant les rames et les allées les plus fréquentées pour le distancer. Mais on me suivait toujours. Je me sentais seule dans cette situation ne sachant pas qui appeler ni quoi expliquer. 

Keiji me retrouverait toujours où que je sois. Ce fut avec cette certitude que je décidais de ne pas rentrer chez moi, mais de sortir à North Point pour prendre le tramway jusqu’à Central. Je m’installais à une place libre au milieu et regardais les immeubles, dénués de caractères sous l’empressement que je ressentais, défiler lentement. L’homme s’était assis un peu derrière moi, dans l’allée opposée. 

Une fois arrivée à Central, je prenais la direction d’un pub que je connaissais depuis mon premier séjour sur l’île. Ayant gardé un mauvais souvenir du Bloody Mary commandé la fois précédente, j’optais pour un soda. Deux heures s’écoulèrent. L’homme était toujours là et mes nerfs commençaient à lâcher, ne voyant pas arriver mon preux chevalier ni un de ses acolytes. Les heures défilaient toujours. Des hommes à la recherche de l’aventure d’un soir, ou ayant bu un verre de trop, m’accostèrent à quelques reprises. Je leur faisais comprendre que je n’étais pas intéressée et que j’attendais un ami avec le plus de naturel et d’assurance possible. L’homme m’observait toujours, lorsqu’un jeune occidental s’installa face à moi. 

― Je vous observe depuis un moment. Je crois qu’on vous a posé un lapin, me lança-t-il vivement, sans me laisser le temps de l’éconduire à l’instar des autres.  

― Non, il a juste un peu de retard. 

― Je n’ai pas l’intention de vous draguer. Je veux juste qu’on se tienne compagnie mutuellement. Le temps que votre ami arrive.  

Présenté de cette façon, il m’était difficile d’objecter d’autant plus qu’il avait l’air sincère et que cela finirait sans doute par décourager le maniaque. 

― Comme vous voulez. 

― Je m’appelle Aiden et vous êtes ? 

― Jeanne. 

― Vous ne m’avez pas menti. 

― Pourquoi le ferais-je ? Ce n’est qu’un prénom. 

― Je suis ici pour des vacances et vous ? 

― Je vis ici. 

― Vous êtes totalement franche. Quelle chance vous avez ! 

Il me mettait à l’aise. De fil en aiguille la discussion se porta sur la vie à Hong Kong, le loyer et toutes ces informations que recherchent les jeunes étudiants qui prospectent un pays où démarrer une carrière à l’international. Aiden m’apprit qu’il était en deuxième année d’une école d’ingénieur en aéronaval. Il effectuait actuellement une césure pour faire le tour du monde. Nous parlions un langage commun puisque j’avais moi-même fait une césure qui m’avait amenée ici pour y réaliser un stage dans cette même entreprise dans laquelle j’avais finalement été embauchée. Bien qu’il fût plus jeune que moi, ses récits  

passionnants lui avaient apporté la maturité nécessaire que seuls les voyages fortifiaient. Je m’étais imperceptiblement détendue en sa compagnie. Nous rigolions de nos histoires respectives lorsqu’un bras possessif m’encercla la taille. Je me retournais stupéfaite. Comme à son habitude, il déposa un baiser sur mon front. 

― Bonsoir. Aiden se présenta le jeune homme à Keiji en lui tendant la main.

Ce dernier le gratifia d’une poignée si ferme au point d’espérer que la main du jeune homme soit indemne. 

― Je vois que votre rendez-vous est arrivé comme vous l’aviez dit. Je vais donc vous laisser. C’était un plaisir de faire votre connaissance Jeanne. 

― C’était une rencontre sympathique. Merci pour vos anecdotes. 

― Un conseil, vous ne devriez pas arriver en retard trop souvent, lança Aiden à l’intention de Keiji, avec une petite tape cordiale sur l’épaule. Une fois n’était pas coutume.

Keiji arborait un regard noir. 

― Merci de daigner te présenter, le piquais-je, les digues ayant cédé. On me suit. 

― Je sais. Tu ne lui as pas facilité la tâche. 

― Tu plaisantes ? C’est un de tes larbins ? 

― J’avais besoin de Han. J’ai donc appointé un de mes hommes pour prendre le relais. Je ne te laisserai jamais sans surveillance.  

― Sais-tu combien je craignais d’être suivie à nouveau ! m’énervais-je contre lui en me levant pour prendre la direction de la sortie. 

Je savais que c’était idiot parce qu’il ne savait pas ce qui m’était arrivée par le passé. Les évènements récents n’avaient fait qu’attiser une nouvelle fois, ma paranoïa. Et surtout, je voulais qu’il sache que j’étais blessée qu’il disparaisse sans que je puisse le contacter. L’air renfrogné j’avançais rapidement dans la ruelle animée. Il était sur mes talons. Je trébuchais et m’étais mise à verser de chaudes larmes, me demandant depuis quand j’étais devenue aussi pleurnicharde. Il m’aida à me relever pour ensuite me soulever sans effort et me porter jusqu’au véhicule dont l’habitacle sécurisant m’était devenu si familier, avant de nous engouffrer dans la nuit qui brillait de mille feux. 


- Fin du chapitre - 


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Chapitre 3

Je me réveillais dans un lit qui n’était pas le mien. Un jeu d’ombre et de lumière dansait au plafond. Je revenais à moi. Les souvenirs se bousculaient dans ma tête, réveillant une migraine lancinante. À mon chevet, l’homme qui venait de chambouler ma vie était là et se réveilla au froissement des draps alors que je tentais de m’asseoir. 

― Vous ne devriez pas vous lever tout de suite. Comment vous sentez-vous ? m’interrogea-t-il sincèrement concerné. 

Comme je restais muette à le fixer le regard vide, il s’inquiéta. Venant brusquement à moi, il posa sa main gauche sur mon front. Elle était fraîche, ce qui me fit du bien. Je clignais des paupières. Je n’émettais aucun son malgré son insistance. Je voulais le punir sans trop savoir pourquoi ou au contraire, pour tous les motifs qui m’avaient amenée à lui. Il finit par approcher de moi. Il appuya son front contre le mien, chuchotant tout près de mes lèvres, me suppliant de lui répondre. 

― J’ai la migraine. Vous voulez bien me passer mon sac et me donner un verre d’eau s’il vous plaît ? 

Il s’exécuta et je pris un comprimé antidouleur. 


― Je ne vous retiens pas malgré vous… Je vous promets de tout vous dire. Mais pas maintenant. 

Éprouvée, je me rendormis. 

À l’aube, j’entendais des voix parlant à voix basse. Je me concentrais pour les distinguer. Il s’agissait d’Ashanti et d’une autre voix féminine. 

― Monsieur a ramené cette étrangère hier après-midi, dit Ashanti. 

― Que se passera-t-il si Mademoiselle l’apprend ? 

― Ce ne sont pas nos affaires, nous ne devons pas nous en mêler.

― Mais tu sais qu’elle nous a demandé de lui dire tout ce qui est inhabituel. Elle sera folle de rage si elle apprend que nous ne lui disons pas tout. 

― Peut-être, mais c’est Monsieur qui nous paie jusqu’ici. 

― Qu’en est-il de Monsieur et Madame Chang ? Quand reviennent-ils du Japon ? 

― La semaine prochaine. 

― Eux non plus n’apprécieront pas la présence de cette femme ici. 

― Monsieur nous a précisé qu’elle s’en irait mercredi matin. 

Les deux commères s’arrêtèrent de parler à l’approche de bruits de pas, me laissant avec davantage d’interrogations. Elles avaient mentionné les parents de Keiji, mais aussi celle d’une autre femme. Je me demandais bien qui elle était pour surveiller la demeure.

Les pas s’étaient arrêtés à ma hauteur. La même main fraîche d’hier se posa sur mon front. Je ne voulais pas ouvrir les yeux et profiter de cette sensation qu’elle me procurait. Juste encore un peu. Un téléphone se mit à vibrer ; sans doute le sien, car il retira brusquement sa main. J’ouvris les yeux. Il me tournait le dos et discutait. 

― Cherchez à gagner du temps. 

La conversation prit fin sur cette unique phrase prononcée. Et il se retourna vers moi. 

― Bonjour. Préparez-vous, dit-il d’un air contrit en me tendant mes vêtements de la veille qui avaient été lavés, séchés et repassés. 

Je m’exécutais dès qu’il eut quitté la chambre. 

Quelques minutes plus tard, je l’avais rejoint près de l’entrée. 

― Nous prendrons le petit déjeuner dehors, me dit-il en me pressant. 

Rapidement nous étions dans le véhicule et quittions la demeure. Tout était allé si vite que je n’avais pas le temps d’observer les détails dehors. 

Le véhicule s’immobilisa près du centre commercial du Peak où nous prîmes un petit déjeuner à la hâte.

― Nous allons tenter de ne pas interrompre votre routine. Han vous accompagnera au centre de fitness. J’ai un rendez-vous. Il vous conduira à moi plus tard. 

― Je ne peux toujours pas rentrer chez moi ?

― Ne vous inquiétez pas, dès que ce sera possible, vous pourrez. 

― Vos parents sont-ils revenus plus tôt que prévu ? lançai-je malgré moi, sans comprendre d’où me venait cette idée. 

― Comment le… ? n’eut-il pas le temps de finir. 

Nous étions interrompus par Han. 

― Monsieur, Monsieur Chang est là. 

― Je croyais t’avoir demandé de gagner du temps ? Suivez le programme comme convenu avec Mademoiselle Blanchet. 

― Il sait que vous n’êtes pas seul. Il veut la rencontrer. 

Après quelques secondes de réflexion, il me regarda l’air perplexe. 

― Mon père est un homme d’affaires intimidant, ne vous inquiétez pas de ce qu’il pourrait dire. Je vous demande d’avoir confiance en moi. 

― Ma présence près de vous n’est pas souhaitée n’est-ce pas ? 

― Vous n’êtes pas une priorité pour moi actuellement. Le reste n’est qu’un dommage collatéral. 

Tendue, je le suivis jusqu’à une berline noire. Un vieil homme aux cheveux poivre-sel portant un costume et une écharpe blanche sortit par la porte qu’on lui tenait ouvert. Bien qu’il ne soit pas très grand comparé à son fils, son aura en imposait. Keiji tenait de lui à bien des égards. 

L’homme m’examina de haut en bas, sondant mes courbes d’un œil appréciateur et malsain qui me perturba. 

― Est-ce à cela que tu occupes ton temps Keiji ? dit l’homme à la voix bourrue. 

― Monsieur, je vous présente Mademoiselle Blanchet, dit Keiji, s’adressant à cet homme qui partageait son sang, comme à un étranger.

― J’ai entendu parler de vous Mademoiselle. 

― Bonjour, Monsieur Chang, dis-je intimidée. 

Mais la main de Keiji au creux du bas de mon dos me redonna du courage. 

― Je vous suis reconnaissant de l’aide que vous avez apportée à mon fils, Mademoiselle. Combien vaut ma reconnaissance pour vous ? 

J’étais éberluée, il venait de monnayer. 

― Monsieur ! La voix de Keiji résonnait d’amertume. 

― J’ignore dans quel monde vous vivez Monsieur, mais l’aide lorsqu’elle est donnée n’exige aucunement une récompense pécuniaire. Là d’où je viens, on appelle ça faire une bonne action sans rien attendre en retour, coupais-je Keiji, calmement. 

― Vous me semblez être une jeune personne intelligente. Vous saurez faire le bon choix au bon moment. Voici ma carte. Mon offre n’est pas éternelle…

― Je ne veux rien ni de vous ni de votre fils. Vous pouvez garder votre carte. Elle n’est pas une garantie bancaire ni même un laissez-passer pour la première place au paradis. Même l’argent ne protège pas une vie.

Sur cette phrase, je regardais Keiji et m’adressais à lui.

― Vous ne me devez rien. Je pense qu’il est mieux finalement que vous préserviez le mystère. Ainsi, je pourrais continuer à vous considérer comme un mirage. Au revoir. 

Lui donnant juste un sourire malgré mon âme qui saignait, je tournais les talons pour récupérer mes affaires dans le véhicule tout-terrain afin de rentrer chez moi. L’humiliation venait de balayer toute curiosité. Mais forte de mes valeurs, j’y survivrais bien. 

Je m’apprêtais à prendre le train pour redescendre du Peak, lorsque Han me rattrapa. 

― Monsieur tient à honorer sa parole. Je dois m’assurer de votre sécurité jusqu’à mercredi. 

― Han ? Je peux vous appeler ainsi ? 

― Oui, Mademoiselle. 

― Vous pouvez retourner auprès de Keiji. Je saurais me débrouiller. 

― Non, Mademoiselle, je resterai.


Voyant qu’il était inutile de protester, les ordres étant ce qu’ils étaient, je haussais les épaules, car je devais admettre qu’une présence à mes côtés me rassurerait même si ce n’était pas Keiji.

Lorsqu’enfin j’arrivais chez moi, une équipe d’hommes en noir attendaient en bas de l’immeuble. Han se dirigea vers eux et revint me remettre une enveloppe. À l’intérieur se trouvaient des clés et un nouveau code d’accès. J’en déduisis que Keiji s’était occupé de tout en un temps record à la suite de l’accrochage avec son père plus tôt. 

Cette fois-ci, malgré l’appréhension, je pris l’ascenseur seule. En ouvrant la porte, j’ignorais à quoi je m’attendais, mais une fée du logis était passée par là. Tout était redevenu à la normale, notant malgré tout que ce qui avait été cassé, avait fini par être remplacé. Ma causeuse avait laissé place à un autre fauteuil violet. Le geste me toucha même si avec la famille Chang, les choses pouvaient être remplacées d’un battement de cils, sans tenir compte de la valeur sentimentale qu’elles contenaient, me sembla-t-il. 

J’étais chez moi, à la fois semblable et différent de ce que c’était. Il me faudrait passer à autre chose, oublier la violation de mon cocon et avancer. 


***


Dix jours s’étaient écoulés depuis mon retour chez moi. Au bout du troisième jour, les hommes de main avaient disparu. J’avais conclu que tout était résolu. En reprenant le travail à la date annoncée à Simon, je m’y dédiais complètement et ne comptais plus les heures. J’arrivais tôt après le sport et ne repartais que tard dans la nuit lorsque le vigile faisait sa première ronde. Le weekend je sortais. Je passais le moins de temps possible chez moi. 

Au bureau, un évènement inhabituel se produisit. Un homme demanda à rencontrer Simon. Ils ne semblaient pas se connaître et échangèrent brièvement dans son bureau, éveillant quelques spéculations parmi les employés. Lorsqu’enfin ils eurent terminé, Simon me convoqua dans son bureau. 

― Quelque chose ne va pas ? demandais-je incrédule. 

― Non tout va bien. Je me disais juste que tu étais différente ces derniers jours. Je pense que c’est lié à ce qui s’est passé chez toi. La sécurité du bureau m’a fait un rapport. Tu es la dernière à sortir depuis un moment. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive des soucis. 

― Tu veux que je rentre chez moi plus tôt ? 

― Non. Oui. Enfin, j’ai autre chose à te proposer. Tu es excellente dans ce que tu fais et rester plus longtemps au bureau n’y changera rien. Si tu ne te sens pas en sécurité chez toi, Mei Lin et moi-même t’aiderons à trouver un autre appartement. En attendant, j’ai une mission à te confier. Tu t’envoles pour Séoul le weekend prochain. 

― Séoul ?

― Nos partenaires t’accueilleront dans leurs locaux pendant un mois. Tu devras les accompagner à se familiariser à nos méthodes, suivre nos procédures et utiliser nos outils.

― Cette phase n’était prévue que dans trois mois. Pourquoi l’avoir avancé ?

― Ils souhaitent anticiper et gagner du temps. J’ai pensé que bien que ce ne soit pas ton domaine, ce serait intéressant pour toi de suivre entièrement ce dossier à chacune de ses phases. En plus, tu parles coréen couramment et tu les connais déjà. Qu’en penses-tu ?  

― J’en pense que c’est parfait, affirmais-je, ravie, sans poser davantage de questions.

― J’ai confiance en toi. Et ce partenariat c’est ton bébé. 

― Merci, Simon, lui dis-je en me levant, le sujet étant clos. 

― Lullaby est informée, elle te communiquera toutes les informations dont tu auras besoin. J’espère que ce voyage te sera profitable. 

― J’y suis ! Il ne s’agit pas que de mes compétences. À ma remarque, Simon s’était rembruni l’espace d’une seconde, mon imagination sans doute. Tu veux que je prenne l’air, avais-je alors ajouté avec un pincement au cœur.  

― Je ne le nierai pas. J’aimerais qu’en attendant ton départ tu ne dormes pas au bureau, je n’ai pas envie que les vigiles croient que j’abuse de mes employés, dit-il moqueur. 

― Oui, patron ! fis-je en saluant comme un soldat, sourire aux lèvres. 

― Je suis soulagé de voir que ton magnifique sourire est encore là. Je ne l’avais pas vu depuis un moment. Je commençais même à douter de le revoir un jour. 

― Tu n’as aucune raison de te faire du souci. Je vais bien et je reviendrai en pleine forme, tentais-je de le rassurer, touchée par sa prévenance depuis toujours envers moi. 


Les jours précédant mon départ avaient été chargés, d’autant plus que je quittais le bureau à des heures décentes. Je m’étais réconciliée avec mon chez-moi, profitant de la terrasse chaque soir pour lire un bon bouquin en sirotant un smoothie.

Je devais néanmoins reconnaître que m’occuper pour penser le moins possible à Keiji était fastidieux. Je ne les avais plus revus. Ni lui ni ses hommes. Je n’avais pas été honnête envers moi et j’avais été injuste le concernant. Je mourrais d’envie de démêler cette aventure incroyable quoiqu’effrayant et apprendre à le connaître. Les papillons au ventre que j’avais ressentis pour la première fois, cette sensation de brûlure à son contact, ce manque de lui qu’il a créé et tout ce mystère qui participait à le rendre dangereusement attirant, m’avaient chamboulée.

Jusqu’ici, il a été le seul qui m’ait rendue avide de vouloir une liaison charnelle avec un homme, construire une relation et même plus encore. Où avait bien pu passer ma réserve concernant la culture du couple en Asie ? Mais tout cela était derrière moi maintenant. Et me retrouver à l’aéroport de Séoul en était la preuve concrète.

On avait dépêché un chauffeur pour venir me récupérer. Il m’attendait avec une pancarte et je me sentais comme dans un film. Il se chargea de ma valise et me conduisit à l’hôtel dans lequel je séjournerai pendant un mois près de City Hall. Les locaux de nos partenaires se trouvant sur l’une des rives du canal Cheonggyecheon.

Un lieu que je connaissais bien. J’y étais venue assister au festival des lanternes, m’amuser près des jets d’eau devant la statue du roi Sejong, ou encore assister à des évènements culturels lors du Chuseok, le Thanksgiving coréen. L’endroit regorgeait d’ambassades et de tours dans l’une desquelles j’étais venue passer un entretien. 

Ce mois loin de Hong Kong me permettrait de me ressourcer, car Séoul était ma ville de cœur, celle qui ne dort jamais. J’y avais vécu les meilleurs moments de ma vie d’étudiante et rencontré des gens venus de tous les horizons, notamment celle qui avait été comme une autre sœur pour moi. 

Je ne devais commencer que lundi, ce qui me laissait tout le weekend pour profiter. J’avais donc prévu de revoir mes amis. Thomas, un Français étudiant en MBA des Affaires et Soo Hae, une locale chargée des ressources humaines pour une entreprise de télécommunication sud-coréenne. 

Nous devions nous retrouver dans un café dans le quartier d’Hyehwa. Nous nous étions rencontrés lors d’un cours de management d’une université à proximité. Nous appartenions à un même groupe de travail, ce qui nous avait rapprochés. Les retrouvailles furent aussi excitantes qu’émouvantes. Je me sentais asiatique à sauter dans les bras l’un de l’autre en sautillant sur place avec une moue attendrissante à nous répéter combien nous nous étions manqués. 

La discussion fut animée par Thomas qui avait beaucoup d’histoires marrantes à nous raconter, dont les réjouissances d’une vie d’étudiant ponctuée de conquêtes sans lendemain. Son air bobo parisien plaisait aux asiatiques, mais critique dans l’âme, il n’avait cessé de nous faire rire avec sa perception de ces dernières.

― Vous ne devinerez jamais ce qui m’est arrivé la dernière fois ?

― Si on te disait que tu parles autant qu’une fille, tu ne pourrais pas t’empêcher de nous le dire quand même, le nargua Soo Hae avec un clin d’œil malicieux. 

J’ai été surprise qu’en bon français, Thomas ne perde pas le fil de son histoire pour se lancer dans un débat sur les commérages. 

― J’étais avec un ami finlandais dont le visa PVT arrive à terme. Il s’était acoquiné avec une midinette du bureau des affaires internationales de l’université. 

― Et du coup ?

― On devait sortir boire un verre un soir avec d’autres étudiants du dortoir international. On s’était donné, comme point de rencontre, la bouche de la station de métro. Et là, ce fut le drame ! Sa petite dame s’est dirigée vers notre groupe d’un pas décidé, un café glacé à la main. On aurait pu voir les vapeurs lui sortir des oreilles. Je vous laisse imaginer la suite !

― Oh non ! Ne me dis pas qu’elle le lui a jeté dessus ? demanda Soo Hae suspendue à ses lèvres.

― Elle n’avait pas supporté qu’il décide de rompre avant de rentrer en Finlande. Le pauvre n’a rien compris. Il a totalement été aspergé ! 

― Je suis toujours surprise par le mélodrame de mes compatriotes, confia Soo Hae. 

― Moi ce qui m’épate c’est cette hypocrisie dans les relations amoureuses. Les filles d’ici savent parfaitement qu’elles ne vont pas se marier maintenant. Pis encore avec un étranger ! Pourtant, faire une scène en public c’est comme un rite incontournable. Souligna Thomas. 

― Je ne suis pas tout à fait d’accord ! Les Coréennes, comme n’importe quelle femme dans le monde, croient aussi à l’amour. Et c’est plus facile pour l’une de nous d’être en couple avec un étranger, qu’un coréen avec une étrangère. Elle s’attendait peut-être à ce qu’il prolonge son séjour. Tu es bien resté toi, après tes études. Tu as commencé à travailler et tu viens de reprendre un MBA. 

― Les Européens aiment voyager. Et les Français sont des romantiques dans l’âme. Quand on aime, on s’installe pour de bon. 

― Les Français sont surtout réputés pour être des baratineurs, le taquina Soo Hae. 

― Et les Coréennes des femmes de choix ! Quand elles ne sont pas déçues par un étranger, elles sont cocues par leur petit-ami coréen. Dans le second cas, c’est monnaie courante et elles n’en font pas tout un plat ! 

― Thomas, tu y vas un peu fort là !

― Que veux-tu dire en bon français, je me dois de replacer le débat sur le bon sujet. Après tout, toi aussi, tu as vécu la même situation, Jeanne. Te rappelles-tu ce crétin ? Quand on était à l’université, celui qui flirtait sans vergogne avec toi ? Il voulait même te présenter à ses parents comme un trophée alors qu’il avait déjà une petite-amie. 

― Là, je suis d’accord avec Thomas, c’était inconcevable et précipité de sa part. Un imbécile, en somme ! La crème des Coréens imbus d’eux-mêmes. Heureusement qu’ils ne sont pas tous comme lui. Beaucoup d’hommes d’ici sont de bonnes personnes. 

― Quand ils ne se noient pas dans le travail et ne s’endorment pas sur le trottoir après avoir descendu trop de soju ! ricana Thomas. 

― C’est vrai qu’on boit beaucoup ! admit Soo Hae.

― C’est la raison pour laquelle tu as choisi Nate ? 

― Non. C’est pour l’uniforme, la taquinais-je. 


Avec un regard de connivence, nous rîmes de bon cœur. 

Mon amie coréenne était une exception de son monde. Lors de la guerre entre les deux Corée, le village de son père à la frontière avait été divisé. Son père s’était retrouvé du côté sud à ce moment-là et n’avait plus revu les siens depuis. Il avait refait sa vie tardivement. Les parents de Soo Hae n’ont rien de conventionnel. Dans le débat d’une possible réunification entre le Nord et le Sud, toujours en guerre, son père cloue le bec aux personnes qui s’insurgent que les Nord-coréens trop pauvres seraient une lourde charge pour le Sud. 

Historiquement, les deux parties du pays avaient été unies jusqu’à la guerre de Corée dans les années 1950. À la suite de cette guerre, la Corée du Sud avait réussi l’exploit de se hisser dans la catégorie des pays développés en moins de soixante ans. Sortir de cette situation économique post-guerre en une durée aussi courte avait été rendu possible par l’effort commun, la volonté de performer et la résilience qui caractérisent les habitants du pays du matin calme. 

Les habitants issus de la Corée du Nord moins développée économiquement sont moins bien perçus par ceux du Sud.

Mais ce n’est qu’en rencontrant mon amie, que j’ai compris que les théories n’expliquaient pas tout. J’étais pleine de compassion pour les parents de Soo Hae. Sa mère, originaire du Sud, elle est la preuve qu’il n’y a pas de frontière à l’amour. Une nouvelle vie y est possible pour ceux qui s’ouvraient à l’intégration. Des associations pour les réfugiés du Nord militaient pour faire connaître les risques pris par ceux qui osaient franchir la frontière. Il suffisait d’ailleurs de visiter la zone démilitarisée pour avoir un aperçu concret de cette guerre mise en sourdine par les Occidentaux. Les partisans pour la réunification mettaient en avant une culture et une histoire partagée. L’architecture, la gastronomie, le chamanisme et les traces des conflits avec le Japon sont autant d’exemples. En côtoyant ceux qui franchissent les obstacles, je ne pouvais qu’être admirative. Les parents de Soo Hae incarnaient cette intégration exceptionnelle.  

Leur union a donné vie à une jeune femme forte et ouverte d’esprit. Une personne que j’ai plaisir à compter parmi les personnes les plus importantes et les plus fiables dans ma vie. Une amie en or. 

Soo Hae m’annonça qu’elle devait présenter son petit ami américain à ses parents le weekend suivant. Cette situation la stressait. Fille unique, elle avait la charge de s’occuper de ses aînés un jour, voire de vivre avec eux, un point aux antipodes de la culture occidentale qu’elle affectionnait. Ils s’étaient rencontrés à un silent disco, une piste de danse en pleine rue où le DJ mixait une musique que seuls ceux portant un casque pouvaient écouter. J’avais été témoin de chaque étape de leur idylle et les enviais au fond de moi.              

Cependant, j’étais heureuse que mes amis soient épanouis dans leur existence, comblés tant professionnellement que personnellement. Les reliefs de ma vie s’accentuaient à leur contact. Je leur donnais des détails sur ma carrière pleinement satisfaisante et ma vie sociale à Hong Kong, omettant volontairement de mentionner Keiji. Eux aussi étaient heureux de ma réussite et s’attristaient de me savoir encore seule. Je leur donnais des excuses qui sonnaient faux même à mes oreilles, une vie bien remplie, un travail prenant, mais le cœur du problème était de n’avoir pas encore rencontré le véritable amour. 

Fleur bleue dans l’âme, je voulais croire que le prince charmant existait et qu’il éveillerait en moi un tourbillon de sentiments. Une passion qui transporterait mon cœur et mon corps. Je l’avais bien croisé au détour d’une ruelle un matin en allant au travail, il m’avait bouleversé et il me manquait si fort que j’espérais que l’adage loin des yeux loin du cœur serait encore plus efficace en ne foulant plus le même sol que lui. 

Après mes retrouvailles avec Thomas et Soo Hae, le dimanche j’étais allée me balader près du fleuve Hangang. Je m’y étais toujours sentie apaisée là-bas. Assise face au dôme qui s’illuminait la nuit, mon esprit se reposa en observant l’eau suivre son cours. 


***


Chaque matin je profitais de la salle de sport de l’hôtel avant d’aller rejoindre une équipe géniale. Avec mes collègues provisoires, nous étions dans la même tranche d’âge et nous avions vite sympathisé entre les films qu’on aimait en commun, les soirées, après le travail, ponctuées de restaurant, de karaoké et de virées dans les clubs ou centres de frappe de baseball. Le mois avec eux s’écoula rapidement et je regrettais de devoir déjà les quitter. 

J’avais bénéficié de mon propre bureau et d’une assistante qui m’aidaient à préparer mes réunions d’information et de formation auxquelles participaient les futurs responsables de centre de profit et leur équipe de vente, l’équipe marketing ainsi que celle des achats. Les supports que je leur avais préparés avaient été pédagogiques et nos échanges interactifs, ce qui leur avait manifestement plu. 

Monsieur Song était passé régulièrement au bureau prétextant des documents à voir avec les membres de la direction. J’appris qu’il était fils de chaebols et par conséquent un très bon parti, mais je restais indifférente à ses avances. Il m’avait fait livrer des fleurs et me faisait une cour assidue sans que cela ne mène nulle part. 

Il était l’aîné de trois enfants et lui aussi un jour devrait assumer non seulement sa responsabilité envers ses parents, mais aussi être dédié à son statut, ce qui ne m’enchantait pas. Je rêvais d’un homme disponible pour fonder une famille avec moi et non d’un homme dont l’environnement conditionnait sa vie, régissant jusqu’au moindre détail de l’éducation de nos enfants. Aimer n’était ni manipuler ni régenter, et loin d’être sordide.   

Un soir un peu avant mon départ, Monsieur Song et moi-même avions passé une agréable soirée, durant laquelle j’avais un peu trop abusé du soju au kiwi, alcool local mélangé à du sirop de kiwi. J’avais perdu les jeux dont la punition était de boire. Il avait souhaité être mon chevalier blanc pour consommer à ma place, mais je refusais convaincue que ce serait lui donner de faux espoirs. Finalement il avait dû me raccompagner à l’hôtel et je me sentis lamentable. Il entra dans ma chambre et aurait pu profiter de moi, mais n’en fit rien. 

― Jeanne, vous êtes une jeune femme qui dégage tant de sensualité que vous ne vous doutez pas de ce qu’il me coûte d’être là, à vous regarder avec avidité sans oser vous toucher. Mais je sais que votre cœur n’est pas ici avec moi. 

― Pourquoi me dire cela maintenant ? 

― Si vous n’aviez pas bu, je ne serais pas ici n’est-ce pas ? Je pense que mes intentions envers vous sont explicites, mais vous m’avez tenu à distance. Ce qui à mon sens n’a qu’une raison, vous êtes déjà éprise d’un homme. Je ne peux plus ravir votre cœur.

― Je ne nierai pas que vous avez tout pour séduire. Vous êtes intelligent, respectueux, plutôt bel homme et vous avez une situation avantageuse. Mais vous avez raison. Je ne m’engagerai pas sans amour ; or même si je vous intéresse, vous ne m’aimez pas profondément non plus. N’est-ce pas ? 

― Vous avez raison. J’espère cependant que celui qui a le privilège d’occuper votre cœur et vos pensées vous mérite. Je l’ai vu à Hong Kong, l’homme dans le véhicule noir. Nous étions à l’étage du glacier, vous vous souvenez ? Notre table était près du vitrage. Je ne vous ai rien dit ne sachant pas réellement si c’était bien vous qu’il observait. Je n’ai eu confirmation qu’à votre réaction lorsque nous sommes sortis. 

― Je suis navrée. J’ai dû vous paraître bien impolie. On dit que sous les effets de l’alcool on reconnaît même l’inavouable. J’ignore s’il s’agit d’amour. Notre rencontre a été écourtée, mais il ne me laisse pas indifférente, c’est vrai.  

Je me gardais bien de dévoiler à Monsieur Song la suite de mes pensées bien trop personnelles. Tout émoustillée devant la baie vitrée de cette chambre d’hôtel, la ville à mes pieds, j’avais imaginé Keiji, derrière moi, m’enlaçant et déplaçant ses mains fraîches sur les zones les plus sensibles du haut de mon corps. Tant de fantasmes érotiques m’avaient poussé à prendre une douche froide depuis mon séjour ici. 

― Je crois qu’il vaut mieux que je rentre. Jeanne, ce fut un plaisir de vous connaître et je serai ravi de vous revoir. Prenez soin de vous. 

Dès qu’il quitta ma chambre, je pris le téléphone. Thomas était le seul à qui je voulais me confier. Je lui relatais tout, de ma rencontre avec Keiji jusqu’au départ de Monsieur Song à l’instant. Si au début je semblais l’avoir dérangé, il était désormais tout ouïe et je l’entendais siffler à l’autre bout du fil, l’air de se dire que j’avais bien caché mon jeu. 

― Thomas, j’ai besoin de ton avis. Étant un homme, tu es le seul à pouvoir m’éclairer objectivement. 

― Jeanne, te rends-tu seulement compte du nombre d’hommes qui ont croisé ton chemin sans que jamais tu ne fasses réellement attention à eux ? Même moi, je dois avouer que j’ai été troublé par toi. La pauvre Fei qui a dû entendre son petit ami te faire un compliment étant donné votre flirt passé… à sa place je n’aurais pas apprécié. Ce Monsieur Song, un gentilhomme, alors que moi-même je n’aurais pas pu en rester un, en me retrouvant dans une chambre d’hôtel avec une femme qui m’attire et sans défense. Tu suscites chez chacun une attirance réelle, mais si pure qu’au final, on ne peut pas t’en blâmer, car tu ne t’en rends pas compte. La preuve, tu m’appelles alors qu’il est plus de minuit et que j’étais au lit en charmante compagnie. Or la seule chose que je trouve à faire c’est de te répondre. 

― Désolée de t’avoir dérangé. 

― Ne raccroche pas. Ton Keiji il a dû ressentir la même chose en te voyant la première fois et votre aventure hors du commun a certainement créé un lien que même lui doit sentir. Je ne sais pas ce qui l’a poussé à prendre ses distances, mais je parierai que ça lui coûte suffisamment pour mouiller ses draps la nuit, dit-il crûment sans retenue. 

― C’est un peu déplacé. 

― Ne fais pas ta timide ! Il peut paraître détaché, il n’en est pas moins un homme. 

― A ma place tu ferais quoi ? 

― Je ne sais pas, je n’y suis pas chérie. Mais à la sienne, avec ses moyens et en tenant compte de ce que tu m’as raconté, je miserai sur le fait que tu n’aies pas voyagé seule comme tu sembles le croire. Je dirai même que ton voyage précipité pour Séoul est une décision de Simon qui a été encouragée. Aucune entreprise ne paierait l’hôtel dans lequel tu séjournes pendant une si longue durée.

― Tu as raison. Comment ai-je pu être aussi stupide pour ne pas y penser plus tôt ? L’idée ne m’avait pas effleurée tant j’étais contente de pouvoir m’éloigner. 

― Promets-moi juste une chose, tu veux ? 

― Quoi donc ? 

― De faire bien attention à toi. Tu attires les ennuis. Je me rappellerais toujours ta mésaventure à Pékin avec Joëlle lorsque vous aviez été suivi par ce détraqué. Concernant Keiji, il m’a l’air d’être dans une situation suffisamment inquiétante pour s’être donné du mal à te faire quitter Hong Kong si c’est bien son œuvre. Tu ne devrais pas prendre à la légère ce qui t’est arrivé. Je sais que tu es saoule, mais tu dois vraiment te rappeler mes paroles, d’accord ? 

― Oui Thomas, répondis-je touchée par tant de sollicitude, l’esprit embué. 

Après avoir raccroché, je pris une douche. Éméchée ou pas, l’hygiène était de première importance pour bien dormir. 


***


C’est au réveil que tout se corsa. J’étais à côté de mes pompes et penchée au-dessus des toilettes, je vomissais. Pour me remettre de ma gueule de bois, je savais qu’un burger ferait l’affaire. J’enfilais donc un chemisier rose et un skinny délavé, une paire de tennis et mes lunettes de soleil dans mon sac. En sortant de l’hôtel par la porte-tambour, quelque chose frappa mon attention. L’homme qui avait rendu visite à Simon juste avant qu’il ne m’envoie en mission à Séoul venait d’entrer. C’était une étrange coïncidence que je devais vérifier, me remémorant ma conversation de la nuit avec Thomas.  

Il réussit à prendre l’ascenseur qui se refermait sous mon nez. Ils n’étaient que trois à l’intérieur, je vérifier chacun des arrêts afin de voir s’il me serait possible d’avoir accès aux vidéos de surveillance. L’ascenseur ne marqua que deux stops aux quatrième et septième qui étaient aussi là où se trouvait ma chambre. Je me rendis au local de sécurité prétextant d’avoir reconnu un ami d’enfance. Je leur ai servi l’excuse bidon de vouloir retrouver sa chambre pour lui faire une surprise. L’agent de sécurité ne se formalisa pas, porte 211, me dit-il, tandis que j’avais regardé avec lui la vidéo. 

Le remerciant, je passais par le bar pour lui faire livrer une collation accompagnée d’un mot et d’un billet. 

Sa chambre était à trois portes de distance de la mienne, et plantée devant elle je sentais mon cœur battre si fort que je ne distinguais plus les coups que je frappais jusqu’à ce que l’homme m’ouvre. Derrière lui, je reconnus Han. Je fixais l’homme, qui venait de m’ouvrir d’un air mauvais, et finis par le pousser pour faire face à Han. J’ouvris une bouche béate, la parole me manquait sous la stupéfaction. 

― Mademoiselle, c’est un plaisir de vous revoir. Me dit Han, le moins du monde contrarié par mon irruption soudaine, comme s’il s’attendait à ce que je finisse par découvrir sa présence. 

― Où est-il ? 

― Qui donc ? Monsieur ? 

― Oui Keiji. Où est-il ? 

― Il est resté à Hong Kong. 

― Vous ne vous attendez pas à ce que je vous croie ? ajoutais-je, constatant néanmoins qu’il avait l’air sincère. 

Ils n’étaient que quatre dans la pièce parsemée de bols de nouilles instantanées et de bouteille d’eau, de matériel informatique et d’une arme sur le chevet. 

― Ne vous inquiétez pas. Nous ne sommes pas dangereux, me dit-il, ayant suivi mon regard jusqu’à l’objet. 

― Depuis quand êtes-vous ici ? C’est Keiji qui vous a demandé de me suivre ? Est-il derrière mon séjour à Séoul ?

― Cela fait beaucoup de questions Mademoiselle, auxquelles nous ne pouvons répondre. 

― Dans ce cas, je ne m’en irai que lorsque j’aurai parlé à Keiji, dis-je avec défi en croisant les bras et m’asseyant sur l’une des chaises libres.    

Constatant que j’étais décidée, il prit son téléphone. 

― Monsieur. Nous avons un problème. 

Me félicitant de mon obstination et de la facilité avec laquelle il avait cédé, je lui arrachais le téléphone des mains, mais demeurais néanmoins furieuse. Il s’agissait d’un appel vidéo. 

― J’ignore si je suis le problème dont il est question, mais je n’apprécie pas vos manières ! 

― Je vais devoir remédier à la discrétion de mes hommes, annonça-t-il sur un ton plus amusé qu’exaspéré. Comment allez-vous Jeanne ? 

― Han n’est pas responsable de ma présence dans cette chambre avec vos hommes. Si je n’avais reconnu cet homme qui était venu voir Simon au bureau en sortant m’acheter un burger… et si mon ami Thomas ne m’avait pas ouvert les yeux, je ne me serai jamais doutée de ce qui se tramait même à une semaine de mon retour pour Hong Kong. Ou peut-être que vous auriez à nouveau influé sur le cours des évènements pour retarder mon retour ? Ou que sais-je encore ?

― Vous semblez avoir beaucoup à me dire. Comment se déroule votre séjour ? dit-il. 

― Pourquoi me le demander quand vous êtes au fait de tout ce qui me concerne ?

― Parce que je veux vous l’entendre dire. 

Il s’adressa à ses hommes, leur demandant de me laisser seule avec lui pour discuter. 

― Vous venez de briser la magie de mon séjour à Séoul. Je voulais réellement croire que mes seules compétences m’avaient menée ici. 

― Elles ont joué en votre faveur. J’ai juste rendu le tout possible à un moment opportun. 

― M’accueillerez-vous à l’aéroport à mon retour ? demandais-je sans être vexée de sa précédente remarque, puisque je serais tout de même venu en Corée du Sud. Il n’avait fait qu’avancer l’échéance. 

― Jeanne, n’avez-vous pas peur de moi ? Ce que vous a dit Monsieur Chang n’a-t-il pas été la raison de votre retour précipité chez vous, la fois dernière ? 

― Je n’ai pas peur de vous, sachez-le ! Quant à votre père, c’est un rustre aux manières que je ne tolère pas non plus. 

― Dans ce cas, qu’attendez-vous de moi ?

― Je pensais ne pas vouloir connaître ni les raisons de votre blessure ni de l’intrusion chez moi. Mais vous vous êtes donné du mal pour m’éloigner à nouveau, si bien que maintenant, je suis curieuse de les entendre. J’attends de vous que vous soyez honnête et sincère. 

― Comme vous l’avez justement remarqué, j’ai fait mon possible pour assurer votre sécurité. Et si vous voulez tout savoir, j’essaierai de ne rien vous cacher. Mais nous en discuterons de vive voix lorsque nous nous reverrons ici à Hong Kong. 

― Quand ? demandais-je avec espoir et surprise par sa prompte envie de collaborer.

― Ne vous inquiétez pas. Je vous ai promis de tout vous dire le moment venu et je ne faillirai pas. Profitez de ces quelques jours à Séoul, voulez-vous ? 

― Pourquoi n’êtes-vous pas venu vous-même ? 

― Mes obligations ici me retiennent. Je dois d’ailleurs vous laisser. Mon rendez-vous ne devrait pas tarder à arriver. 

La conversation se termina sur cette promesse de se revoir prochainement et d’obtenir enfin des réponses. Je quittais la chambre après avoir rendu à Han son téléphone. 

― Mademoiselle, je vous ai fait livrer un burger dans votre chambre. 

― Merci Han, dis-je, lasse de constater que rien ne leur échappait. 

J’étais redevenue étrangement calme et je me déplaçais vers ma chambre comme si je marchais à côté de moi-même. Une fois à l’intérieur je pris le burger et le mangea toujours avec cette sensation d’être parallèle à moi-même, me demandant ce qui serait arrivé sans leur inadvertance. Je n’aurais sans doute jamais recroisé la route du mystérieux Keiji. 

Ce fut aussi dans cet état que ma dernière semaine se passa. Personne n’avait rien remarqué, mis à part que Monsieur Song ne nous rendait plus visite. Tous s’interrogeaient sur ce qui avait bien pu se passer. J’avais garanti à mes collègues que son cœur était à prendre encore et qu’il avait été courtois de me ramener à l’hôtel où il ne s’était rien  

passé. J’avais remarqué que la responsable marketing avait le béguin pour lui. J’avais donc profité pour balayer toute animosité entre nous. 

En effet, Eun Hye était de bonne famille, agréable à regarder et créative dans son travail, cependant elle s’était tenue plus à distance de moi qu’avec les autres. Je savais qu’il ne s’agissait pas de sa nature réservée, mais je m’étais mis des œillères. 


***


Une petite fête avait été organisée pour mon départ. Mes collègues m’avaient préparé une carte avec leurs photos et des mots qui me mirent du baume au cœur. Je ne les reverrai que dans trois mois à l’inauguration de la première boutique. Je revis mes amis également pour un dernier repas dans un des restaurants d’une chaîne qui servait de la soupe militaire que j’appréciais tout particulièrement tout comme la soupe au kimchi et bien d’autres plats locaux encore qu’ils soient épicés ou non.  

Dans l’avion qui me ramenait à Hong Kong, je pensais à Keiji. Je faisais le point sur ce qu’il représentait pour moi, et sur mes attentes envers lui. Je voulais davantage de lui que de simples explications. Ne pas se connaître assez n’était plus un frein valable, seul comptait le fait que je voulais croire qu’il tienne suffisamment à moi pour me protéger comme il l’avait fait. Mon attachement était devenu plus fort. Je ne  

cessais de penser à lui, à l’intimité que je me sentais prête à connaître avec lui. 


J’avais lu pas mal d’articles dans des revues féminines à propos du plaisir féminin en solo, ou encore de l’attraction pour le sexe opposé. Keiji était la cause de bien des nuits agitées à me retourner dans mon lit. 


Mon imagination, guidée, par l’excitation, avait pris le dessus. Pourtant, frustrée de ne pas le sentir tout entier et de ne pas vivre la félicité d’être comblée, je maugréais. C’était stupide de se trouver comme une adolescente trahie par ses hormones en ébullition. Rien n’y faisait, impossible de dormir. J’avais pris une douche pour me calmer au milieu de la nuit, encore. À ce rythme, j’aurais même suivi les conseils de Thomas, en me procurant un de ces jouets pour adulte. Force est de constater que j’avais encore une once d’estime pour moi et que je croyais encore au romantisme. Entre les soubresauts dans ma poitrine et le désir que j’éprouvais, le duel était sérieux. 

Je m’impatientais avec l’impression que mon vol n’atterrirait jamais assez tôt pour retrouver Keiji. 




- Fin du chapitre - 


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